Indépendant et racé. Le Zürcher Theater Spektakel qui débute le 17 août est une aubaine pour l'amateur de théâtre. D'abord parce que ce rendez-vous lancé en 1980 a l'habitude de rassembler des compagnies du monde entier, qui brûlent souvent pour la première fois les planches suisses. Ensuite parce que cette manifestation privilégie les productions les plus novatrices. Enfin parce que son responsable artistique Markus Luchsinger a choisi cette année d'inviter quelques-uns des créateurs les plus inventifs de la scène est-européenne. Les trente à quarante mille spectateurs attendus (fréquentation moyenne du Zürcher Theater Spektakel, qui peut compter sur un budget de 2,5 millions) mesureront sans doute combien cet espace européen, qui va des Balkans à la Baltique, est pluriel dans ses formes. Ce qui n'empêche pas les créateurs de cette région de se heurter à des difficultés analogues – subventions de plus en plus maigres, compromis esthétiques obligés pour s'exporter…

Le Temps: Votre programme met l'accent sur la création est-européenne. Entendez-vous développer ce créneau à l'avenir?

Markus Luchsinger: Nous avons l'habitude d'approfondir un thème sur deux ou trois ans. L'année prochaine, nous accueillerons ainsi un Boris Godounov de Pouchkine mis en scène par l'Anglais Declan Donellan avec des comédiens russes. Cet accueil se fera en collaboration avec le Festival d'Avignon, qui est un des piliers de THEOREM (ce label réunit plusieurs institutions européennes ayant accepté de coproduire des spectacles est-européens, ndlr). Nous nous serions d'ailleurs associés dès cette année à THEOREM si nous en avions eu les moyens.

– Peut-on encore parler de scène est-européenne, alors que les réalités des pays de l'ex-bloc soviétique sont très différentes?

– Il est vrai qu'après la chute du Mur, la notion de bloc n'est plus pertinente. Mais ce qu'on a pu constater à travers les nombreux spectacles que nous avons vus, ce sont des préoccupations analogues. Nombre de créateurs tentent d'inventer sur scène un passé, de reconstruire une identité. Ce qui m'intéresse, c'est comment ces artistes essaient de se définir, sans tomber dans le piège du nationalisme ou sacrifier à la nostalgie. L'autre aspect remarquable, c'est leur sens de l'héritage très aigu. Contrairement à ce qu'on imagine ici, nombreux s'estiment héritiers d'une tradition et souhaitent la transmettre.

– Des opérations comme THEOREM qui visent à favoriser la circulation des productions ne risquent-elles pas d'avoir des effets pervers sur les créateurs qu'elles veulent aider?

– Une initiative comme la nôtre peut effectivement avoir des effets pervers. Certaines troupes ont la tentation de penser d'abord à la diffusion de leurs spectacles plutôt qu'à la création. Il n'y a toutefois pas de miracle: les créateurs qui font date sont ceux qui ne pensent pas en termes économiques. Un metteur en scène comme le Polonais Krystian Lupan a imaginé il y a dix ans une adaptation des Frères Karamazov qui durait neuf heures. Aujourd'hui, ce spectacle, que nous accueillons cette année, continue de tourner partout en Europe.

– Comment voyez-vous l'avenir du Zürcher Theater Spektakel?

– Je crois qu'il nous faut d'abord privilégier le théâtre de recherche, c'est-à-dire aussi accroître notre budget de création, en sollicitant des fondations (la Ville de Zurich verse 500 000 francs au Festival, le Canton, 15 000, le reste provient des sponsors, ndlr). Je suis effaré par la tendance à l'uniformisation des grands festivals: les mêmes productions passent d'une manifestation à l'autre. Or il me semble qu'un rendez-vous comme le nôtre doit favoriser les propositions originales, celles qui dans l'idéal ne pourraient naître nulle part ailleurs. C'est à cette condition que nous conserverons notre identité.

Zürcher Theater Spektakel, du 17 août au 3 septembre (réservations du lundi au vendredi, de 10 h à 18 h, au 01/221 22 83, ou de 16 h à 20 h au 01/216 30 30).