«Le Théâtre Vidy a un rôle national à jouer»
Spectacle
L’ancien patron du Festival d’Avignon dévoile une mini-saison, de mai à juin, qui mélange les genres avec subtilité. Il privilégie des inventeurs de mondes, du metteur en scène zurichois Christoph Marthaler au cinéaste et homme de théâtre Vincent Macaigne, de la jeune chorégraphe genevoise Perrine Valli au maître allemand Matthias Langhoff

«Le Théâtre Vidy a un rôle national à jouer»
Affiche Vincent Baudriller propose une mini-saison aux enjeux passionnants
Il privilégie des créateurs de biotopes souvent géniaux
A chaque rendez-vous, un nouveau projet. Vincent Baudriller, c’est Spiderman à Lausanne. Il tisse sa toile. Un jour à l’EPFL: il conçoit avec le professeur Pierre Frey une exposition sur l’architecture issue de l’Exposition de 1964. Un autre à la Fondation de l’Hermitage: Denis Podalydès lira ce dimanche à Vidy des extraits du Paradoxe sur le comédien, en écho à l’exposition Le Goût de Diderot. Vincent Baudriller déborde – d’impatience. Preuve, il a dévoilé jeudi une mini-saison qui courra de mai à juin, comme un concentré de ses intentions, une façon aussi de faire apparaître sur le devant de la scène des personnalités qui compteront à l’avenir, à commencer par Christoph Marthaler, de retour à Lausanne dix-sept ans après un mémorable Voyage de Lina Bögli; mais aussi Matthias Langhoff, metteur en scène qui prenait la direction de la maison en 1989 et la mettait sur orbite; ou encore le chorégraphe-danseur Boris Charmatz.
Le mouvement est le maître mot de l’ancien directeur du Festival d’Avignon. Sa ligne? Naturellement brisée, faite d’effractions, tantôt du côté de l’architecture, tantôt du côté de la danse et des sciences, avec un credo: le théâtre est un champ magnétique où s’agglomèrent particules présentes et passées. Mot d’ordre: parler de l’héritage d’abord, de l’Exposition de 1964 d’où est issu le Théâtre de Vidy (lire ci-dessous). Mot d’ordre encore: privilégier des inventeurs de formes, des créateurs de biotopes.
Le Temps: Pourquoi ce prologue? Vincent Baudriller: J’ai voulu créer une dynamique. Ne pas attendre septembre pour cela, mais saisir deux opportunités: mes prédécesseurs, René Zahnd et Thierry Tordjman, ont conçu un programme qui s’étend jusqu’à début mai; il y avait donc un espace à investir; il y a d’autre part le cinquantenaire de l’Exposition de 1964, qui nous permet de réfléchir aux origines du théâtre, construit à cette occasion, et de réactiver l’héritage de l’architecte Max Bill, du metteur en scène Charles Apothéloz, du plasticien Jean Tinguely, qui ont porté l’Expo 64.
– Quel est l’état de santé de Vidy?
– Nous avons des atouts considérables, qui tiennent à l’architecture du lieu et à la réputation européenne de la maison. Mais le nombre de places payantes ne représente que 56% de nos jauges alors que le taux de fréquentation des quatre salles avoisine les 80%. Cela signifie que la proportion d’invitations est trop importante. L’objectif est de passer à 70% de places payées.
– On dit le public de Vidy très fidèle?
– Oui. C’est une chance, depuis vingt ans, des milliers de spectateurs entretiennent un rapport amoureux avec ce théâtre. Mais là encore, nous constatons que le nombre d’adhérents, ces spectateurs qui achètent une dizaine de billets par saison, a baissé. Il était de 6400 en 2004, il est de 4400 en 2013. L’enjeu pour nous, c’est de nous appuyer sur la ferveur de ces passionnés et de conquérir un nouveau public. Rien de plus beau que de voir quatre générations cohabiter dans une salle! Le théâtre est un art qui fait du bien. Mais pas assez de monde le sait.
– Que faire pour élargir le public?
– Créer, parallèlement à la saison, des événements. Des sortes de mini-festivals, comme «Let’s dance!» qui, du 11 au 14 juin, permettra au public de découvrir le travail de chorégraphes et danseurs d’envergure. Mais il faudra aussi faciliter l’accès, en alternant les horaires en semaine, certains soirs à 19h, d’autres à 20h; et en favorisant la réservation via notre site. La billetterie électronique est encore marginale.
– Et les jeunes qui fréquentent peu les salles?
– Nous avons des projets avec les écoles d’art de la région, l’EPFL, l’UNIL et espérons que les étudiants se sentiront concernés. Certains artistes devraient aussi intéresser un public jeune, je pense au cinéaste et metteur en scène Vincent Macaigne qui fait le buzz sur les réseaux. Il présentera en septembre L’Idiot de Dostoïevski.
– La présence de Christoph Marthaler et de son «King Size» est un événement considérable. L’artiste zurichois est extrêmement rare en Suisse romande, ses spectacles ont la réputation d’être hors de prix. Comment avez-vous fait?
– Je lui avais proposé en 2010 d’être artiste associé au Festival d’Avignon. Il avait accepté à condition de ne pas avoir à se soumettre aux interviews des journalistes qui le mettent mal à l’aise. Nous avons créé un lien. C’est pour moi l’un des créateurs les plus importants de la scène internationale. Nous accueillons King Size et nous coproduisons avec le Théâtre de Bâle sa prochaine création.
– Vous accordez une place forte à la danse contemporaine, ce qui est inédit ici. Ne craignez-vous pas de concurrencer les lieux lausannois dédiés à cet art, Sévelin 36 de Philippe Saire notamment?
– Vidy est la seule maison à posséder un plateau assez grand pour accueillir certains spectacles importants. La nouvelle création de Boris Charmatz ne pourrait pas être programmée ailleurs. Je ne pense pas que nous ferons de l’ombre à nos voisins. Au contraire! S’il y a plus de monde ici, il y en aura plus aussi à Sévelin 36 ou à l’Octogone de Pully.
– Le modèle économique actuel de Vidy implique une part d’autofinancement importante grâce aux tournées. Allez-vous continuer à exporter vos spectacles pour les rentabiliser?
– Les tournées, effectivement importantes, ont permis longtemps de dégager une marge financière qui permettait de financer d’autres projets. Mais depuis cinq ans, les recettes de tournées ont baissé, au point qu’elles sont légèrement déficitaires. Mais si je suis venu ici, c’est pour produire. De ce point de vue, je m’inscris dans la continuité de René Gonzalez. Il y aura des accueils certes, mais nous resterons un théâtre de création.
– Avec quelles autres institutions allez-vous travailler?
– D’abord avec les institutions d’ici, qui rendent ce territoire passionnant, la Fondation de l’Hermitage, le Musée de l’Elysée, l’Arsenic, l’EPFL, l’ECAL, et j’en oublie. Mais Vidy ne perdra pas de vue qu’il a un rôle à jouer en Suisse. Nous nouons ainsi un partenariat avec le festival de La Bâtie à Genève, une première. Nous ferons voyager nos publics respectifs entre Genève et Lausanne. Nous développerons encore des collaborations avec des partenaires suisses alémaniques, la prochaine création de Christoph Marthaler étant un bon exemple de cette ambition. Et puis il y a les grandes maisons françaises qui seront aussi des alliées.
– Qu’aimeriez-vous offrir au public?
– Le théâtre est un art où les enjeux financiers sont bien moindres qu’au cinéma. Les artistes doivent profiter de cette relative légèreté pour affirmer leur liberté. J’aimerais que le public fasse le pari de la curiosité. Qu’il ne vienne pas reconnaître un énième Shakespeare, mais découvrir un monde, vivre une expérience inédite.
– Une image pour définir Vidy?
– Une ruche, avec ses quatre petites salles. Et son équipe qui essaie de transformer le pollen en art.