L’annonce du décès de Tina Turner à l’âge de 83 ans, hier à son domicile zurichois, laisse ses fans orphelins. Mais donne l’occasion à ceux qui la connaissaient moins de revisiter la vaste discographie de la reine du rock – dix albums studio, produits entre 1974 et 1999. Une carrière musicale qui s’est tarie depuis deux décennies déjà, mais qui compte un nombre respectable de tubes. Galaxie de ses morceaux les plus emblématiques, et de leur histoire.

1. «River Deep – Mountain High» (1966)

A l’origine de ce titre, il y a Phil Spector, producteur américain légendaire (on lui doit de mythiques titres comme Be My Baby des Ronettes, ou d’avoir produit l’album Let It Be des Beatles). Avec un couple d’auteurs-compositeurs, Jeff Barry et Ellie Greenwich, il écrit River Deep – Mountain High, une ascension mélodique irrésistible pour dire la dévotion amoureuse, et sait tout de suite à qui l’offrir: Tina Turner, dont il admire la voix extraordinaire, et son mari d’alors avec qui elle forme le duo Ike & Tina Turner. Convaincu de leur potentiel, il les signe sur son label Philles Records en déboursant quelque 20 000 dollars.

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Tina, 27 ans, sera finalement seule au studio, à supporter une session d’enregistrement pénible et interminable. Elle racontera plus tard: «J’ai dû chanter le morceau 500 000 fois. J’étais trempée de sueur. J’ai dû enlever ma chemise et rester debout en soutien-gorge pour chanter.»

Malgré tous ces efforts, le titre ne fera pas le carton espéré aux Etats-Unis, atteignant à peine le top 100 – de quoi miner Phil Spector, qui se retirera de l’industrie musicale pendant deux ans. River Deep – Mountain High trouvera plus tard ses lettres de noblesse, jusqu’à obtenir la 33e place du célèbre classement des 500 plus grandes chansons de tous les temps, par le magazine Rolling Stone en 2004.

2. «Proud Mary» (1971)

Parmi les tubes les plus connus de Tina Turner figure une reprise. C’est en fait le groupe de blues-rock américain Creedence Clearwater Revival qui sort d’abord Proud Mary en 1969. Un morceau bluesy racontant l’histoire d’un gentleman qui décide de quitter l’agitation de la ville pour vivre une existence plus simple, sur un bateau à vapeur – John Fogerty, cofondateur du groupe, l’écrit deux jours après avoir été démobilisé de l’armée. Le titre remporte un franc succès, égalé deux ans plus tard lorsque Ike et Tina Turner s’en emparent. Ils le réarrangent et lui impriment un élan plus funk-rock et des influences gospel – de quoi valoir au duo le Grammy Award de la meilleure performance vocale R’n’B par un groupe, en 1972.

Alors que Creedence Clearwater Revival implosera quelques années plus tard, Proud Mary restera un classique du répertoire populaire et un incontournable de Tina Turner, qu’elle continuera à interpréter durant ses concerts.

3. «What’s Love Got to Do With It» (1984)

Probablement le tube ultime de Tina Turner – et pourtant, il aurait pu lui passer sous le nez. Les compositeurs Terry Britten et Graham Lyle, à qui on doit ce titre, le proposent d’abord au chanteur britannique Cliff Richard, qui le refuse. Puis à la chanteuse de R’n’B Phyllis Hyman et même à Donna Summer – dont on dit qu’elle le gardera sous le coude plusieurs années, sans jamais l’enregistrer. C’est donc finalement Tina Turner qui s’empare de What’s Love Got to Do With It, concentré de pop finement ciselée dont elle fera le single de son cinquième album, Private Dancer, en 1984. «Ce n’est ni du rock’n’roll ni du R’n’B. C’est un peu des deux», dira-t-elle.

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Le contraste entre la douceur des synthés et la puissance de la voix de Tina Turner, qui infuse les paroles déchirantes d’un chagrin tout personnel (son divorce infernal avec son ex-mari Ike), est en tout cas explosif. Seul no 1 de sa carrière, le single s’écoulera à 2 millions d’exemplaires – des ventes juste dépassées, cette année-là, par celles de When Doves Cry de Prince. Alors que beaucoup considéraient la période dorée de Tina Turner, 45 ans, comme largement dépassée, Private Dancer, porté par ce tube, restera parmi les come-back les plus mémorables de l’histoire.

4. «We Don’t Need Another Hero» (1985)

On l’oublie, mais Tina Turner a été héroïne de film d’action. En 1985, elle partage avec Mel Gibson l’affiche de Mad Max: Au-delà du dôme du tonnerre, troisième volet de cette franchise américano-australienne mettant en scène un monde dystopique et désertique sans foi ni loi. Alors que professionnellement elle s’émancipe enfin de la coupe de son ex-mari, Tina Turner se frotte aux caméras. Après quelques clips, elle incarne dans Mad Max un rôle écrit pour elle: Aunty Entity, leadeuse de gang puissante et impitoyable au look très… eighties.

Avec le film sort We Don’t Need Another Hero, balade s’inspirant des thèmes du film (l’humanité tentant de se reconstruire dans un monde de désolation) infusée de rifs de guitare, d’un solo de saxophone et même d’un chœur d’enfants – en référence à l’armée de jeunes qui, dans le film, aideront Max à renverser Entity. C’est surtout son refrain, à la fois épique et ringard, porté par les envolées dramatiques de son interprète, qui restera ancré dans les mémoires – bien plus que le mauvais film qu’il accompagnait. De quoi solidifier le retour en piste de Tina Turner.

5. «The Best» (1989)

«You’re simply the best!» Rares sont ceux qui peuvent affirmer n’avoir jamais hurlé ce refrain sur une piste de danse collante ou au karaoké. Mais saviez-vous que c’est Bonnie Tyler qui le signait en premier… sans succès? En 1988, lorsque la chanteuse britannique sort The Best, c’est un flop.

Un an plus tard, Tina Turner s’en empare sur son septième album, Foreign Affair – après avoir réclamé à son autrice, la musicienne américaine Holly Knight, quelques modifications dont l’ajout d’un pont, qu’elle estimait manquant, et un changement de tonalité. Tina Turner invitera également le saxophoniste Edgar Winter, qui avait déjà travaillé avec Ringo Starr, à mettre son grain de sel. Idée judicieuse: le titre deviendra un hit international. «Il y a eu beaucoup d’autres éléments qui sont entrés en jeu: la production, les musiciens et, bien sûr, Tina elle-même», dira Holly Knight.

Sûrement la simplicité – d’autres diront le minimalisme – de ses paroles aussi («You’re simply the best/Better than all the rest/Better than anyone/Anyone I’ve ever met»), faciles à reprendre à l’infini. Une recette parfaite pour en faire l’hymne de multiples pubs, de la série Schitt’s Creek mais aussi, plus improbable, de la National Rugby League australienne. Sans rancune pour Bonnie Tyler, qui dira en parlant de The Best: Tina Turner «l’a fait bien mieux que moi».