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Toutes griffes dehors

La petite fille blonde pose fièrement à côté du lion. Un vrai lion. Ceux

La petite fille blonde pose fièrement à côté du lion. Un vrai lion. Ceux dont les griffes vous déchirent la panse en un seul coup de patte. Il est encore jeune, certes, tenu en laisse et bien placide, mais le danger guette sous le sépia glacé de la photographie que la directrice de Vega Film vient de sortir d'une boîte remplie de clichés. Ruth Waldburger, enfant, vivait avec un fauve, comme les prêtresses carthagènes s'entouraient de bêtes féroces pour sentir de plus près le souffle cruel des Dieux et se protéger du commun des mortels.

L'auteur de la photo, c'est son père. Amener des lions à la maison, c'était d'ailleurs une idée à lui. A la fin des années 50, l'atelier appenzellois de photographie de «Herr Waldburger» offrait la possibilité aux clients de Herisau de se faire photographier en compagnie d'un fauve. Le succès de l'idée l'emportera dans les fêtes foraines de la région. «La mode, raconte Ruth Waldburger, consistait à poser à côté d'un ours empaillé. Mon père a voulu innover un brin. J'ai beaucoup aimé les quatre lionceaux que nous avons élevés à la maison. Malheureusement, lorsqu'ils sont devenus trop grands, nous avons dû les donner à un zoo.»

Le caractère du mini-prédateur qui fixe le photographe a probablement déteint sur la petite fille assise à ses côtés. Lorsqu'on relève la tête de ce cliché ahurissant, on voit dans le regard de Ruth Waldburger la même fierté, l'indépendance, la force et, peut-être, la cruauté du félin. Ce soir-là, c'est elle d'ailleurs qui tient la discussion entre ses griffes. Dans le jardin de la grande maison blanche qu'elle loue à Seefeld, quartier chic de Zurich, elle a organisé une petite party pour quelques amis.

Parmi eux, Viktor Giacobbo comique star en Suisse alémanique et personnage principal de Ernstfall in Havanna (Micmac à La Havane), grand succès à l'est de la Sarine et flop total en Suisse romande. «Travailler avec Ruth? C'est bien, sauf qu'elle paie trop mal!» Ce sera la seule information qu'on décrochera sur leur collaboration – une boutade naturellement, lancée entre le carpaccio de veau et les spaghettis à l'ail.

Une self-made-woman, voilà ce qu'on peut dire de Ruth Waldburger. Culture d'autodidacte – son père lui offre un crédit illimité dans la librairie de Herisau et lui dit: «Achète tout ce que tu veux lire et lis quand tu veux.» Apprentissage de commerce à Saint-Gall en poche, Ruth Waldburger entre dans la production en 1974 grâce à Roger Schawinski, alors producteur de Kassensturz, le magazine de la consommation de la DRS. Assistante de production pour des émissions politiques, elle travaille ensuite pour Alain Tanner et Jean-Luc Godard, fonde Xanadu, sa première maison de production, jusqu'à ce qu'Arthur Cohn, le producteur bâlois aux sept Oscars lui avance 50 000 francs afin qu'elle puisse créer Vega Film AG.

Lors de cette soirée, il manquait un lionceau au tableau: Niza Lou, sa fille, qui, à 7 ans et demi, tient dur comme fer à soigner sa réputation de terreur de tous les restaurants zurichois. Elle était en vacances.