Et voilà la «francophonie augmentée». Ce mercredi matin, TV5 Monde a lancé sa plateforme en ligne dans la grande majorité des terres de la planète que couvre cette chaîne des télévisions francophones publiques.

TV5MondePlus est disponible en ligne et par des apps iOS et Android. Les responsables promettent des intégrations dans les appareils comme l’AppleTV ou les box opérateurs pour l’année prochaine. Elle est gratuite, mais aura de la publicité. L’interface ressemble aux classiques du genre, en plus épuré qu’une Amazon Prime, par exemple. La page d’accueil met en avant les fictions, films et séries, mais l’offre comprend des sections sports, voyages, gastronomie, jeunesse… TV5MondePlus démarre avec 3000 heures de programme sous-titré en français, anglais, espagnol, arabe et allemand – l’interface est aussi dans ces langues.

On ne se compare pas à Netflix, mais un peu quand même

Directeur de TV5 Monde, Yves Bigot choisit de mettre les pieds dans le plat lorsqu’il présente certaines pépites de sa nouvelle offre comme Unité 9, la série carcérale à succès de Radio-Canada, «la Orange is the New Black francophone». Et voilà donc tiré le parallèle avec Netflix, devenu réflexe dès que l’on parle de plateformes. Le directeur précise: «Nous n’avons ni les moyens ni la prétention de concurrencer ces acteurs du marché, même si nous en avons la dimension planétaire.»

Gilles Marchand, le Suisse, et Jean-Paul Philippot, le Belge, renchérissent; ce dernier assure qu’il s’agit de «fournir des alternatives culturelles et technologiques aux grandes plateformes anglo-saxonnes». Qu’elles offrent par exemple la même capacité à fournir de la matière au «visionnement en rafale», souligne la responsable numérique de TV5 Monde, Hélène Zemmour. Et ce, ajoute la directrice générale de TV5 Québec Canada Marie-Philipe Bouchard, afin de «voyager virtuellement à la rencontre des peuples».

Le Canada comme moteur

La plateforme est financée sur le budget de la chaîne, mais le Canada a joué un rôle majeur dans son développement en allouant 14,6 millions de dollars (plus de 9 millions d’euros ou de francs) sur cinq ans. La Suisse a vite saisi l’intérêt promotionnel de l’outil, en décrochant 300 000 francs pour l’achat de programmes… helvétiques. Les curieux trouvent ainsi Anomalia ou 10, mémorable thriller de poker à Genève de 2010. Hors de Suisse, Quartier des banques est aussi proposée. Pour des raisons légales ou commerciales, le canal n’est pas encore accessible en Chine, aux Etats-Unis et aux Pays-Bas. TV5 Monde enrichit son service de podcasts et de productions venues d’institutions culturelles. On peut ainsi suivre une leçon du Collège de France sur l’épidémiologie.

Le service plaira aux fidèles des émissions de découverte, environnement ou société, venues des divers horizons francophones. Les amateurs de séries vont vite y trouver un intérêt, puisque ce canal offre enfin la possibilité de voir de manière simple des œuvres belges, québécoises ou africaines. La chaîne en profite d’ailleurs pour dévoiler une coproduction sur laquelle elle mise beaucoup, Wara, une chronique politique sénégalaise. Le catalogue comprend par exemple Brouteur.com, comédie à propos d’arnaques internet de Côte d’Ivoire, ou la série historique du cinéaste Jean-Pierre Bekolo Our Wishes, sur la part d’histoire allemande du Cameroun.

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Reste que TV5MondePlus est lancée en plein boom des plateformes, certaines propulsées avec des moyens considérables. La présence en ligne devient bataille. Les explications d’Yves Bigot.

Le Temps: On a déjà Canal +, Apple TV +, Disney +, désormais TV5MondePlus… Vous n’auriez pas pu faire un peu plus original?

Yves Bigot: Remarquez que nous, nous écrivons «plus», ce qui nous distingue! Nous devions garder la marque TV5 Monde, et voulions signaler qu’il s’agit d’un service supplémentaire. Dès lors, nous n’avions pas beaucoup de possibilités.

Avec cette plateforme, prenez-vous acte de la baisse de l’importance de la TV en flux?

Nous voulons surtout assurer la «découvrabilité» de nos programmes dans l’univers numérique. Si nous n’y sommes pas présents, ce sera une perte de souveraineté télévisuelle et culturelle. Cela correspond à la mission que nous ont confiée les gouvernements constituants de TV5 Monde [France, Canada, Suisse, Wallonie-Bruxelles et Québec].

La chaîne elle-même disparaîtra-t-elle?

Sauf à se situer à un horizon de 20 ans, au moins… Les modes de consommation sont différents. Sur nos 60 millions de téléspectateurs, il existe une partie qui se convertira au numérique, une autre qui restera sur la chaîne. La radio n’a pas tué les concerts, la TV n’a pas écrasé la radio. Les médias ne se remplacent pas, ils s’ajoutent. En revanche, la part respective, pour chacun, diminue un peu. La TV reste importante, pensez à certaines régions d’Afrique où l’on rencontre encore des problèmes d’électricité ou de bande passante. Notre force réside dans notre caractère de chaîne planétaire, sous-titrée en cinq langues, présente même en Corée du Nord.

Dans le flot de plateformes, comment se distinguer?

Par notre offre: de service public, francophone et gratuite. L’interface est proposée en cinq langues, 80% des contenus sont sous-titrés dans ces langues. Parmi les 364 millions de foyers qui reçoivent TV5 Monde, la moitié ne parle pas français. Nous avons déjà un gros public en Inde ou au Vietnam, par exemple; la plateforme permet de toucher davantage ces publics.

L’audiovisuel, c’est aussi une jungle en matière de droits. Comment gérer cela pour un support qui repose sur six chaînes ou groupes de TV?

C’est la question centrale. Mais en réalité, puisque nous devons déjà travailler sur ce point pour la chaîne TV5 Monde, nous n’avons pas vraiment de problèmes car ce sont ces opérateurs qui nous fournissent leurs programmes. Pour ce qui concerne la fiction ou les documentaires, notamment, nous procéderons à des acquisitions sur le marché.

Quand on lance une plateforme généraliste en 2020, doit-on déplacer le curseur vers la fiction, en particulier les séries?

Nous savons que cinéma, série et documentaires sont les éléments les plus attendus. Mais nous y ajoutons notre part de service public et nos partenariats culturels, par exemple les conférences du Collège de France.

Vos chaînes mères ont déjà ou développent leurs propres plateformes, Auvio en Belgique, bientôt Salto en France et Play Suisse… N’est-ce pas une sorte d’auto-concurrence?

Non, parce qu’elles opèrent sur leurs territoires nationaux. Il y a au contraire une très grande complémentarité. Notre but n’est pas de concurrencer la SSR, mais de faire en sorte que les programmes suisses soient regardés ailleurs le plus possible. C’est ainsi que nous remplissons notre obligation de résultats avec les fonds publics.

A ce propos: Gilles Marchand: «La SSR veut offrir un voyage dans l’archipel suisse»