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UBS paie son dû au MoMa de New York

En achetant PaineWebber il y a cinq ans, la grande banque suisse avait trouvé dans l'héritage 700 œuvres d'art moderne. Elle en montre une partie au Museum of Modern Art, et elle verse son écot à la métropole.

Au sixième étage du MoMa, il y a un petit dessin surprenant de l'Américain EdwardRuscha. On dirait une banque qui brûle. En fait, ce bâtiment massif, d'où s'échappent des flammes abondantes, n'est pas un temple de l'argent, c'est le Musée du Comté de Los Angeles, construit dans les années 60, dont Ruscha a souvent imaginé l'incendie fictif, alors que la jeune institution venait de lui acheter une œuvre. Pas une banque, donc, mais c'est égal. Les banquiers sont dans les musées. Aux Etats-Unis en tout cas, depuis longtemps. Sans John Rockefeller, n'y aurait pas de Museum of Modern Art à New York: il avait fait cadeau de sa propre maison pour construire le MoMa à la place. Aujourd'hui, une autre étape est franchie. La banque elle-même devient le musée. Et pas n'importe quelle banque: l'exposition qui s'est ouverte vendredi au sixième étage du MoMa présente 64 œuvres de la collection de UBS, dont 40 ont été ou vont être données au musée new-yorkais rénové.

Ce cadeau a une histoire. Quand UBS a acquis PaineWebber il y a cinq ans, pour douze milliards de dollars, les Suisses ont trouvé 700 œuvres de prix dans les meubles. Cette collection avait été réunie à l'initiative de Donald Marron, le patron de l'établissement américain, grand acheteur d'art lui-même, qui est devenu pour trois ans président de UBS America. Au moment de la fusion, Marron, qui est un bienfaiteur du MoMa et fait partie de sa direction, a pris Marcel Ospel à part, et il raconte dans le catalogue cet échange: «Marcel, nous avons ce projet d'une exposition au Modern, mais il n'y a pas d'obligation légale, juste une promesse faite.» Le PDG de UBS n'a pas hésité: «Si tu l'as promis, nous le ferons.» Alors que la cicatrice des fonds en déshérence n'était pas encore refermée, le banquier n'avait rien à refuser à New York. Mais dans l'engagement, il y avait aussi la promesse faite au Musée qu'il pourrait choisir une quarantaine de toiles dans la collection PaineWebber, devenue UBS Art Collection. Marcel Ospel est lui-même collectionneur, et il a encouragé la banque à devenir la grande acheteuse qu'elle est.

Donald Marron aimait, pour lui et pour son établissement, les œuvres de son temps, et sa passion est née dans les années 70. L'exposition du MoMa couvre cette période, jusqu'au milieu des années 90. PaineWebber, comme ses concurrentes, achetait de l'art parce que c'est un investissement, de toutes les manières. La création contemporaine va avec le goût des riches clients dont la banque gère la fortune. Les œuvres servaient aussi à habiller les murs des halls et des bureaux. De l'audace, mais pas de provocation. Et il fallait que les acquisitions puissent s'accrocher: un petit dessin de Joseph Beuys (Gold Sculpture), plutôt qu'une grande installation de feutre dans laquelle les investisseurs se seraient pris les pieds.

L'exposition du MoMa, si elle n'est pas vraiment sage, a donc du maintien, et tous les grands noms de la fin du siècle y sont, avec une ou deux œuvres: Lucian Freud, Jasper Johns, Roy Lichtenstein, De Kooning, Claes Oldenburg, Gerhard Richter, Warhol… L'œuvre la plus provocante est peut-être celle du Britannique Richard Long, qui a couvert une grande toile de l'empreinte de ses pieds trempés dans la boue de l'Avon, la rivière de son enfance. La plus intrigante est sans doute celle de Richard Serra, No Mandatory Patriotism (pas de patriotisme obligatoire), réalisée en 1989: deux très grands carrés noirs, qui font irrésistiblement penser au plan des deux tours du World Trade Center, détruites douze ans plus tard.

L'exposition UBS du MoMa («Contemporary Voices») a reçu un accueil mitigé du New York Times, qui fait le goût dans la ville. Les réserves du quotidien renvoient à la qualité de l'acheteur: un banquier n'aime pas toujours le risque autant qu'il le prétend. Il y a même un peu d'amour-propre froissé dans cette réaction. Car le nom de PaineWebber, qui a disparu de la raison sociale de la banque globale, a aussi été retiré dans l'exposition. «Don de UBS», dit l'affichage. Ces Suisses…