Un vertige d'emblée. Perché sur un mât, le danseur et performer belgo-marocain Sidi Larbi Cherkaoui goûtait lundi et mardi à l'absolu, dans le cadre de La Bâtie à Genève. Silhouette blanche immaculée comme le bienheureux, il se préparait la fatale chute, dans ce It inspiré de The circular valley de Paul Bowles. Sur terre, le temps d'un conte initiatique ruminé sur un écran géant par un âne pontifiant, l'acteur volatil passera ensuite par tous les états, guerrier, animal chimérique, demoiselle possédée, corps dispersé. Art de se décomposer donc, sous l'œil de Wim Vandekeybus, chorégraphe flamand qui aime voir ses danseurs repousser leurs limites.

Affranchi de son âne savant, Sidi Larbi Cherkaoui aime susciter des vocations terriennes. En conclave, fidèle à l'esprit des Ballets C. de la B., la compagnie dans laquelle il œuvre, aux côtés d'Alain Platel notamment. Il y a quelque temps, il opérait ainsi à cœur ouvert avec des danseurs handicapés dans Ook, concentré de chagrin explosif accueilli au Théâtre du Loup à Genève. Cette fois, il a réuni autour de lui une dizaine de performers venus d'Islande, de Corée ou de Suède et un orchestre, quatre chanteurs et trois musiciens, adeptes de la vielle, de la cornemuse et du luth. Ensemble, ils ont conçu Foi, opéra pour yogi et porteurs d'étendards traversé par le souffle nauséabond des croisades de jadis et d'aujourd'hui.

«Une partie de la musique est médiévale, raconte Sidi Larbi Cherkaoui. Par goût. Mais aussi parce qu'il me semble qu'il y a entre cette époque et la nôtre plus d'un point commun. Le XIVe siècle connaît deux phénomènes majeurs: les croisades et la peste, auxquels répondent aujourd'hui le sida et les équipées américaines en Afghanistan et en Irak. Revenir au Moyen Age, c'est donc s'interroger sur ce qui continue de nous diviser.» Et déminer aussi le champ de nos querelles.

Rêve syncrétiste

C'est qu'il y a chez Sidi Larbi Cherkaoui, né à Anvers de parents marocains, un rêve syncrétiste. Un idéal – et tant pis si cela relève d'un œcuménisme béat – fraternel. «Je ne cherche pas à mélanger des danseurs pour faire beau dans le paysage. Mais à constituer un imaginaire inédit à partir de pratiques très différentes. Notre spectacle est le produit d'une relation. Notre manière de travailler accomplit un idéal démocratique: nous pratiquons l'ouverture, attentifs à ce que chacun apporte.»

Art de vivre et de créer donc pour cet admirateur de Pina Bausch. «Je n'ai qu'une foi, dit encore celui qui a fait ses premiers pas de danse à la télévision belge. Je crois qu'une relation est toujours possible, au-delà des fossés culturels.» Cet acte de foi cache des élévations mémorables.

Foi, Château Rouge, Annemasse (F), je 4 et ve 5 à 20 h 30. Loc. 022/738 19 19.