Un pas décisif pour la danse en Suisse
MOUVEMENT
Cantons, villes et Confédération s'allient pour soutenir et développer l'art chorégraphique. Cette politique ambitieuse englobe la formation du danseur mais aussi l'aide aux compagnies les plus dynamiques.
Et si le 11 septembre 2006 était une journée historique pour la danse en Suisse? Hier à 10 heures, les mines étaient solennelles au Centre de presse de la Confédération à Berne. Jean-Frédéric Jauslin, directeur de l'Office fédéral de la culture, Pius Knüsel, son alter ego à Pro Helvetia, et la Vaudoise Brigitte Waridel, au nom des cantons, affichaient leur esprit de corps. Ils ont levé le voile sur les grandes lignes du «Projet danse», fruit d'une concertation de longue haleine entre villes, cantons et associations de danse. Ils ont ainsi défini les axes d'une politique de soutien et de développement d'un art considéré jusqu'à présent comme le parent pauvre de la culture. Une grande ambition et une mobilisation sans précédent à l'échelle du pays: villes, cantons et Confédération promettent d'agir main dans la main, pour que les objectifs du «Projet danse» ne restent pas au stade de vœux pieux.
Mais pourquoi cet effort en faveur des enfants suisses de ces maîtres que sont Merce Cunningham et Maurice Béjart? Au départ, une série de constats. Celui-ci d'abord: être danseur n'est toujours pas un métier, du point de vue du statut (pas de diplôme reconnu au niveau de la Confédération). Conséquence: en fin de carrière (entre 35 et 40 ans dans le ballet classique), un interprète est condamné à improviser sa reconversion. Les assurances sociales, qui allouent des aides à des professionnels d'autres domaines, ne sont pour le moment pas tenues d'intervenir. Autre constat: notre pays ne compte pas d'institutions chorégraphiques de grande envergure, à même d'offrir aux artistes une salle, des studios de répétitions, des locaux administratifs, de quoi développer une œuvre au long cours. Les experts parlent d'infrastructure. Ce constat encore: depuis la fin des années 90, les compagnies suisses s'exportent à travers le monde, à l'image de la troupe genevoise Alias, dirigée par le Brésilien Guilherme Botelho. Pauvre chez soi, donc, mais désirable à l'extérieur. Telle serait la situation à la Cendrillon de la scène chorégraphique nationale.
C'est là que le «Projet danse» prend son sens. Dans les prochaines années, il devrait remédier aux manques et soutenir l'élan actuel. Premier acte: la formation. Il devrait être possible un jour d'associer apprentissage de la danse et maturité - Zurich et Lausanne testeront la formule dès 2008. Et à partir de là, les plus doués pourraient poursuivre dans une haute école spécialisée, au niveau Bachelor, voire Master. Ces cursus donneraient lieu à des diplômes reconnus à l'échelle fédérale. Du coup, les danseurs auraient un statut avec tous les droits inhérents.
Deuxième acte: les murs. Un temps, certains ont rêvé d'un ou deux centres chorégraphiques nationaux. Des paquebots. Mais cette vision ne correspond pas à l'esprit du fédéralisme. Aujourd'hui, la volonté est de mettre en réseau, comme on dit dans les états-majors culturels, les structures en place, comme Sévelin 36 à Lausanne, l'Association pour la danse contemporaine à Genève, la Dampfzentrale à Berne, etc. Concrètement, cela pourrait conduire ces lieux à coproduire des spectacles - ce qui ne se fait pas - mais aussi à organiser la tournée de certaines de leurs créations à l'intérieur du pays - tourner en Suisse est souvent plus difficile qu'à l'étranger.
Troisième acte: le grand large. Villes, cantons et Pro Helvetia ont décidé de coordonner désormais leur soutien aux compagnies les plus capables de rayonner hors de nos frontières. Ces troupes - treize pour tout le pays - bénéficieront d'une «convention de soutien conjoint»: elles recevront pendant trois ans - le contrat est renouvelable - des subsides des trois instances susmentionnées. Pendant cette période, elles auront l'obligation de produire deux spectacles, ce qui leur laisse en théorie une année pour approfondir une recherche. Sont concernés notamment, pour des montants oscillant entre 170 000 et 500 000 francs par an, Alias ou la compagnie Drift à Zurich.
L'argent, justement. Toutes ces mesures devront être financées. Monsieur Danse à Pro Helvetia, Andrew Holland constatait hier que les collectivités publiques avaient tendance à augmenter leur enveloppe pour la danse. Il y aurait là comme une émulation entre certaines villes et cantons. Quant à Pro Helvetia, la fondation devrait continuer à consacrer chaque année 2,2 millions de francs à un domaine qui n'a jamais été aussi bien doté. Depuis 2002, c'est une priorité culturelle nationale. La danse est en marche.