Un homme en colère

En finir avec Eddy Bellegueule, le titre claque. En janvier 2014, il braque vite l’attention sur ce premier roman d’un jeune homme de 21 ans, Edouard Louis. A titre coup-de-poing, livre uppercut. Car Eddy Bellegueule s’avère être le vrai nom de famille de l’auteur et l’idée d’en finir avec ce patronyme, un vrai projet personnel.

Le roman est le récit, à la première personne, d’un combat, d’une «insurrection» contre une famille (celle de l’auteur), une classe sociale (la sienne, le lumpenprolétariat du Nord de la France) et son racisme (anti-Arabes et anti-homosexuels).

Toute insurrection charrie sa dose de violence. Le livre lui-même fait partie du dispositif. Edouard Louis précise que son insurrection personnelle n’a été que seconde: «Avant de m’insurger contre le monde de mon enfance, c’est le monde de mon enfance qui s’est insurgé contre moi. Très vite j’ai été pour ma famille et les autres une source de honte, et même de dégoût. Je n’ai pas eu d’autre choix que de prendre la fuite. Ce livre est une tentative pour comprendre.»

Le lecteur refait le chemin d’Edouard Louis, de la petite enfance à l’adolescence, quand il commence à se distinguer des autres garçons par sa voix haut perchée, quand il subit les crachats, les coups quotidiens jusqu’à son envol pour la ville, les études, la liberté. Edouard Louis, étudiant en sociologie, dépeint la violence qu’il a subie tout autant que la violence sociale subie par ses parents, ses camarades de classe, à l’usine, à l’école.

La famille d’Edouard Louis a réagi, violemment, contre son portrait. Replaçant le livre dans la lignée, déjà longue, des cas récents de révoltes de «personnages» contre leur auteur. Des journalistes lui ont reproché son mépris des siens et l’inexactitude de certains faits. Arguant de sa liberté de romancier, Edouard Louis a répondu, avec douceur, à sa famille; avec virulence à ses détracteurs. Violent et aimant à la fois, la réussite et l’ambiguïté du livre se situent sur cette ligne de faille.