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Un piano coloré et frondeur dans Chostakovitch

Critique: Plamena Mangova au Festival Amadeus

Une grange vidée de ses engins et transformée en salle de concert. Un domaine agricole dans la campagne genevoise, au Carre d’Aval près de Meinier. Le Festival Amadeus accueille le public tous les deux ans dans son somptueux domaine – cette année, sous la direction artistique de Claire Brawand et d’Eve-Anouk Jebejian. Jeudi soir, la musique vibrait de manière royale dans la grange de la Touvière.

Plamena Mangova, pianiste bulgare née en 1980, 2e Prix au Concours Reine Elisabeth de Belgique en 2007, a beau avoir des petites mains potelées, elle sait comment faire sonner son instrument. Ce qui fait la richesse de son jeu, c’est la qualité de son toucher – rond, plein, jamais dur – alliée à une large palette de couleurs. Dans les trois Sonates de Scarlatti qui ouvrent le programme, elle mêle délié et plénitude du son. Elle fait ressortir l’espièglerie de la Sonate en sol majeur K 146 (malgré un peu trop de pédale) . On regrette qu’elle adopte un tempo lentissime dans la Sonate en fa mineur K 466; elle jette un sort à chaque note, frôlant l’affectation romantique, là où on souhaiterait plus de simplicité. La Sonate en ré majeur K 29, en revanche, est magnifiquement déliée et animée.

Plamena Mangova cerne à merveille l’esprit des douze Préludes extraits de l’Opus 34 de Chostakovitch . Elle suggère l’ambivalence de cette musique, ni joyeuse, ni grave, dans un entre-deux qui laisse inconfortable. Elle varie l’accentuation, éclaire l’humour grinçant derrière l’écriture apparemment enfantine. Superbe.

La 3e Sonate en fa mineur de Brahms la confronte davantage à ses limites. Les accords qui ouvrent la sonate (redoutables, il est vrai!) manquent de puissance et d’éclat, comme s’ils n’étaient pas pleinement assurés. L’enchaînement des idées musicales n’est pas toujours très fluide et organique; la pianiste se montre un peu précautionneuse, en s’arrêtant et s’attardant sur telle résonance à la fin d’un épisode avant de repartir.

Son mouvement lent est très intériorisé. Les sonorités délicates, nimbées de mélancolie, l’étagement des registres et des plans sonores sont bien réalisés – même si le climax pourrait être plus ardent encore. Le scherzo dégage un bel d’élan. L’intermezzo est lunaire (à défaut d’être suffocant). Quand au mouvement final, il oscille entre élans d’inspiration et passages plus laborieux. Une interprétation imparfaite, pleine d’idées, en devenir.

Chaleureusement applaudie, la pianiste offre en bis le Nocturne en do dièse mineur opus posthume de Chopin, magnifiquement modelé (la main droite si chantante!). Puis elle joue Trois danses argentines d’Alberto Ginastera. Elle s’y libère complètement, prodigieuse d’incandescence et d’invention rythmique. Une artiste au fort tempérament à suivre.

Festival Amadeus, jusqu’au 7 sept. Rens. www.festival-amadeus.ch