Chronique
Dans «Journal de mes oreilles», Zoé Besmond de Senneville conte le récit de sa perte d’audition. Une délicate mise en abyme

Toutes les deux semaines, pour cette chronique podcast, mon cerveau sait qu’il doit jeter un «coup d’oreille» à la vaste planète des séries audio. Audio qui séduit tellement que désormais Twitter permet de poster des notes vocales de 140 secondes. Mais pense-t-on à celles et ceux qui n’entendent pas?
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L’histoire d’un silence
Un podcast autoporté, sorte de journal intime, est venu me heurter. Il s’intitule Journal de mes oreilles, l’œuvre indépendante de Zoé Besmond de Senneville. Zoé est comédienne, et cela se ressent dans sa manière de conter. Mais elle ne joue pas. Son podcast est le lieu qu’elle a choisi pour évoquer l’évolution de sa maladie diagnostiquée à 25 ans: l’otospongiose, une pathologie rare qui touche l’oreille interne et mène, petit à petit, à la surdité. Coup de génie que de lancer, sur une plateforme audio, le récit d’un silence qui s’épaissit. Une sorte de mise en abyme.
D’épisode en épisode, nous sommes témoins de la surprise, la tristesse, la colère, l’amour, avec toujours cette étrange réflexion que de se dire: j’écoute la voix d’une personne qui, elle, n’entend presque plus. «Une audition artificielle», assène Zoé, après avoir essayé ses appareils. Un choc de plus, alors qu’elle caressait le rêve qu’ils lui rendraient l’ouïe d’avant. Elle les avait choisis bleus et très petits. Si petits qu’il lui arrive de les perdre, et que son corps en est «coupé».
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Le sourire en coin
Au-delà de l’émotion, du combat personnel, Zoé Besmond de Senneville introduit l’auditeur dans un monde qui lui est a priori étranger. Un monde où le cerveau fatigue de devoir prêter attention aux lèvres qui bougent, où l’on «cultive le sourire en coin». Un monde où règnent de nouveaux stress, comme celui de ne plus avoir de piles pour ses intra-auriculaires. Un monde où la foule devient une angoisse, où l’on regrette presque d’avoir demandé un appareillage car plus on le porte, moins on entend lorsqu’on l’enlève.
A force de mille détails et un langage imagé, la jeune femme parvient à nous faire effleurer cette marche douloureuse vers l’acceptation de ce qu’elle doit nommer «handicap». Même si, parfois, elle rêve que les décibels reviennent. Zoé reste ferme, elle a «encore des choses à dire».