Suffit-il de remporter un Premier Prix au Concours de Genève pour faire carrière? Bien sûr que non. Seule une poignée d’élus se hissent au rang de star. Martha Argerich, 1er Prix du Concours de Genève en 1957, en est l’exemple le plus éclatant. La pianiste argentine est au cœur du «Festival des Lauréats» – une série de concerts destinée à mettre en valeur d’anciens lauréats. Ce jeudi, elle jouera le Concerto pour deux pianos de Poulenc au Victoria Hall avec son compatriote Nelson Goerner, 1er Prix du Concours en 1990.
«C’est bien beau d’avoir un prix en poche, mais aucun concours ne pourra faire la carrière à votre place, dit Nelson Goerner. La difficulté, c’est de durer, d’être réinvité après avoir donné les premiers concerts qui découlent du concours, de continuer à grandir, surtout.» Pareil constat du côté de Lorenzo Soulès, jeune pianiste français qui remportait un Premier Prix l’an dernier, en 2012. «Un concours permet d’ouvrir beaucoup de portes, mais ce n’est pas la solution à tout. Il y a tellement de concours aujourd’hui, tellement de pianistes! Pour l’instant, je suis encore étudiant. Je fais un Master à Cologne, auprès de Pierre Laurent-Aimard et Tamara Stefanovitch. Par chance, je n’ai ni trop peu, ni trop de concerts.»
Ce passage du prix de concours à une carrière à échelle planétaire peut être dévastateur. «Le risque, c’est d’être pressé comme un citron, dit Nelson Goerner. Dans certains concours, il s’agit d’assurer 80 concerts durant l’année qui suit l’obtention du prix, alors que le lauréat n’a que très peu d’expérience.» Nelson Goerner, lui, a pu se développer à sa guise. «A l’époque, j’avais trouvé un solide appui en la personne de Franco Fisch, secrétaire général du concours. Il parlait de moi à son entourage. Ma carrière s’est construite petit à petit, et j’ai donc eu le temps.»
«Un gros stress stimulant»
Autre lauréat du concours: le Quatuor Terpsycordes, 1er Prix en 2001. «Je garde le souvenir d’un gros stress, un stress par ailleurs positif et très stimulant, dit François Grin, violoncelliste du quatuor. Après la première épreuve éliminatoire, on a senti que ça se passait bien, ce qui nous a encouragés à continuer.» Et pourtant, comme le note le violoncelliste, «il y a toute une part qui nous échappe. Quand on joue en finale d’un concours, on n’a pas tellement envie d’y croire de peur d’être déçu, mais en même temps, en 2001, on n’est pas sorti de là en se disant qu’on était fichu.»
«Gagner un concours n’est pas suffisant en soi, poursuit François Grin. Derrière, il faut évoluer artistiquement», ce qu’a fait le Quatuor Terpsycordes en jouant le répertoire du quatuor tantôt sur cordes en métal, tantôt sur cordes en boyau. «Nous défendons l’image d’un quatuor à plusieurs facettes: instruments «montés modernes» pour György Ligeti, instruments «montés en boyau» pour Haydn ou Schubert.» Une manière de se profiler par rapport aux nombreux autres quatuors sur le circuit international.
«Pendant le concours, c’est très difficile de gérer psychiquement tous les programmes à jouer devant le jury, confie Lorenzo Soulès. On est sous pression, on est soumis à certaines contraintes. Quand on a fini, on est out pendant plusieurs jours, voire plusieurs semaines.» En un an, il a pris du recul. Il constate que lorsqu’il donne des concerts, il a «plus de liberté personnelle» que dans les conditions si particulières du concours. Il se montre très critique à l’égard de lui-même. «J’ai visionné un peu l’épreuve finale que j’ai faite l’an dernier dans le 2e Concerto de Brahms. Aujourd’hui, je ferais certaines choses différemment.»
Son premier CD (sponsorisé par les Montres Breguet) est appelé à le faire connaître auprès du public et des agents de concerts. Une carte de visite, très favorable, bien sûr. Mais un prix de concours de piano n’est qu’un début: la partition doit encore être écrite.