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Sans espace d’exposition, le Fonds cantonal d’art contemporain de Genève peine à mettre en valeur ses collections. Pour y remédier, la start-up ArtyBot et la structure de médiation culturelle La Lucarne ont imaginé un assistant conversationnel proposant des œuvres aux visiteurs selon leur humeur

«Voulez-vous un shoot émotionnel?» Difficile de dire non à cette proposition intrigante. L’auteur de cette question saugrenue? L’Artbot, un robot conversationnel dont s’est doté le Fonds cantonal d’art contemporain de Genève (FCAC). Dans le coin en bas à droite de son site internet, un curieux onglet a en effet fait son apparition. En cliquant dessus, le visiteur se voit poser une autre question: «Dans quel état d’esprit êtes-vous?» Le choix est vaste: l’internaute peut piocher dans une sélection de dix émotions différentes, allant de massacrante à coquine, en passant par bestiale ou amusée. Commence alors l’immersion au sein des collections du FCAC – une petite partie en tout cas. Trois œuvres sont sélectionnées pour chaque émotion, cela en fait donc trente au total à découvrir grâce à cet assistant un peu particulier. Un texte explicatif accompagne chaque objet, avec des cartels qui apparaissent sous la forme de bulles de discussion, le tout agrémenté également d’audios et de vidéos. Vous vous sentez joyeux? Découvrez Chemises de Vincent Kohler, Two unfinished de John Baldessari ou Tableau de lumière 1 de Daniela Pellaud. Linogravure, photolithographie ou photographie, trois œuvres aux couleurs vives pour embrasser votre humeur du moment.
Cette sorte de visite guidée 2.0 a pour but de mettre en valeur les collections du FCAC. Sans espace d’exposition, difficile de les montrer autrement que via son site internet. Jusqu’à maintenant, le public pouvait naviguer dans celles disponibles en ligne. Triée par date ou par artiste, cette masse d’œuvres restait jusqu’alors peu accessible et attrayante pour le public, mis à part peut-être pour les étudiants en art ou les professionnels. C’est donc là qu’intervient l’Artbot: «Nous souhaitons toucher un autre public, peut-être plus jeune, explique Diane Daval, directrice du fonds. L’Artbot permet de rendre nos collections plus abordables et intelligibles. C’est une sorte de porte d’entrée pour aller éventuellement plus loin par la suite.»
Le fruit d’une bourse de médiation culturelle
Le projet a été créé grâce à une bourse de médiation culturelle mise sur pied avec le soutien de la banque Société Générale. Sur les six candidatures reçues, c’est celle de Caroline Rosnet, de la start-up d’ingénierie culturelle ArtyBot, et de Sara Terrier et Anne-Sophie Marchal, directrices de La Lucarne, structure spécialisée dans la médiation culturelle, qui a séduit le FCAC: «Nous avons apprécié le côté léger et ludique de l’application, avec l’idée d’utiliser l’état émotionnel du visiteur pour orienter le chat. Mais il n’y a pas que sa forme et ses qualités techniques qui nous ont plu, le travail d’écriture accompagnant les œuvres était aussi très pertinent.»
L’idée d’allier émotions et visite guidée numérique n’est pas anodine. Selon Caroline Rosnet, l’art contemporain peut plaire ou déplaire mais il ne laisse jamais indifférent, d’où la volonté de travailler avec une palette d’humeurs pour valoriser les différentes œuvres. Les lauréates de cette bourse ont donc dû se plonger dans les vastes collections du FCAC pour en ressortir une poignée d’objets: «L’outil de recherche est un peu froid, et tout est présenté sous le même format. L’idée était donc de mettre de la couleur dans ces collections. En réfléchissant à ce que signifiait pour nous une humeur massacrante ou coquine, nous avons pu tenter de voir quelles correspondances cela pouvait avoir en art contemporain», illustre Sara Terrier.
Un vrai travail de curation donc, qui est présenté sous forme d’arborescence, à la manière d’un «livre dont vous êtes le héros», selon les créatrices. Pas d’intelligence artificielle venant piocher directement dans les collections en fonction de l’humeur choisie: «Ce serait impossible pour le moment, tempère Caroline Rosnet. Dans la base de données du FCAC, les œuvres sont simplement classées par format, taille ou matériau. L’Artbot n’aurait pas les informations nécessaires pour déterminer si une œuvre est plutôt triste, étrange ou contestataire. C’était à nous de les rendre sensibles.» L’Artbot n’est pas le premier robot conversationnel à être utilisé dans le monde de la culture, mais il est l’un des rares à être exclusivement utilisé à des fins artistiques. Les chatbots servent la plupart du temps à guider les visiteurs dans les méandres de la programmation ou des horaires d’un musée, comme le fait par exemple Mic Mac, le robot attitré du Musée d’art contemporain du Val-de-Marne.
Un robot qui compte évoluer
Pour le moment, le visiteur a vite fait le tour de ce que propose l’Artbot. Les créatrices du projet ont néanmoins fait le choix délibéré de ne proposer qu’une sélection d’œuvres restreinte accompagnée de courts éléments d’information: «Nous utilisons le microapprentissage, en encapsulant pour chaque objet des informations limitées mais bien calibrées pour nous adresser à un maximum de personnes. Nous ne voulions pas proposer trop d’œuvres comme dans un catalogue, mais plutôt donner un éclairage particulier», argumente Caroline Rosnet. L’Artbot va aussi évoluer avec le temps. Le FCAC entend en effet proposer d’autres œuvres en effectuant un nouveau travail de curation.
Alors, outil efficace pour découvrir les collections encore méconnues du Fonds cantonal ou gadget culturel 2.0? Il est trop tôt pour le dire, le chatbot ayant été lancé seulement depuis une semaine. En attendant, le tout jeune Artbot sera présenté en grande pompe au stand du FCAC durant l’édition 2022 du salon Artgenève.
L’Artbot est à tester sur le site du FCAC.