Le Musée Rath a rendu hommage aux années suisses de Gustave Courbet lors d’une grande exposition en 2014, retraçant ses 53 mois passés loin de la justice française à arpenter Le Locle, La Chaux-de-Fonds, Neuchâtel, Genève ou le Valais, avant de se poser au bord du Léman, à La Tour-de-Peilz. Paysage du Jura n’y figurait pas: cette huile sur toile de 1872 est restée inconnue des spécialistes du peintre jusqu’en 2015, à la mort de son dernier propriétaire, Hugo Berthold Saemann, qui l’avait reçue en héritage de son père, Hermann Saemann.

Paysage du Jura représente un petit pont de pierre enjambant un cours d’eau coulant entre les pans rocheux d’une gorge verdoyante. «Le choix du legs de ce tableau emblématique à la République et canton du Jura est probablement motivé par l’origine delémontaine de la famille Saemann, écrit l’Office de la culture, le grand-père du donateur ayant occupé le poste de directeur des usines Von Roll dans le Jura de 1891 à 1914.»

Lire ici le communiqué de l’Office de la culture de la République et canton du Jura

Se disant «très honoré», le gouvernement jurassien a accepté le legs en juin 2017, après avoir prudemment fait authentifier le tableau et obtenu un avis de droit du Centre du droit de l’art de l’Université de Genève. Tous ces documents ont été mis en ligne, dans un souci de transparence, dont une éclairante infographie qui synthétise les principaux éléments d’identification du tableau.

Ces documents, passionnants, retracent le lent cheminement qu’il a fallu pour confirmer l’origine du tableau. Daté de 1872, il a probablement été commencé dès 1864, selon le professeur d’histoire de l’art allemand Klaus Herding, et sa valeur est estimée à environ 300 000 francs suisses, par comparaison avec d’autres œuvres.

Le tableau sera exposé au Musée jurassien d’art et d’histoire de Delémont, qui le reçoit en dépôt pour cinq ans de la République et canton du Jura. Il a été officiellement remis ce 25 août par Martial Courtet, ministre de la Formation, de la culture et des sports, à Anne Seydoux-Christe, présidente de la Fondation du Musée jurassien d’art et d’histoire, en présence de la famille de M. Saemann.

C’est en Suisse que Gustave Courbet a fini ses jours, après avoir fui la France où il restait redevable d’une amende considérable dans l’affaire de la Colonne de la place Vendôme déboulonnée. Il y est décédé le 31 décembre 1877.

Lire: Gustave Courbet, une soif de liberté inextinguible (03.10.2014)


Des archives intrigantes

Plusieurs articles du Journal de Genève évoquent le séjour, animé, de Courbet en Suisse. On peut lire avec profit (et un amusement certain)

- le compte rendu de son procès à Paris (02.08.1871)

- un compte rendu d’une exposition à Genève où il a participé  («M. Courbet n’est pas des nôtres, nous voulons dire qu’il n’a rien qui le rattache aux artistes suisses. En matière d’art comme de politique, le système qu’il professe et applique ne semble pas destiné à faire école chez nous: notre éducation intellectuelle ne se prête pas à cette négation de tout idéal, à cette matérialisation à outrance qui se permet de s’appeler réalisme, comme s’il n’y avait de réel au monde que le trivial et la vulgarité…») (06.08.1874)

un autre compte rendu d’exposition à Lausanne («M. Courbet a donné trois tableaux d’un aspect étrange. L’un est censé représenter le château de Chillon mais il est bien difficile de le reconnaître dans cette masure grimaçante, pesamment jetée sur un lac gris-noir…») (12.05.1874)

- un extrait du Figaro de l’époque, qui n’aimait pas du tout l’auteur de L’Origine du monde («Qu’était-ce que Courbet? Un homme appartenant aux classes inférieures… qui après avoir vainement tenté de révolutionner la peinture s’est rabattu sur la société… encore plus bête que méchant…) (02.03.1872)