Insaisissable comme une fugue
Musique classique Le pianiste Piotr Anderszewski donne un récital vendredi à la Salle de musique de La Chaux-de-Fonds. Portrait
Piotr Anderszewski ne se laisse pas définir facilement. Le pianiste d’origine polonaise et hongroise donne un récital vendredi soir, à la Salle de musique de La Chaux-de-Fonds. Il a choisi des œuvres qui lui ressemblent. Qu’il joue Bach (la 5e Suite française et la 6e Partita), Janacek ou Schumann (Scènes de la forêt), son piano creuse les abîmes tout en cherchant à se hisser vers la lumière.
Piotr Anderszewski, 44 ans, s’est fait connaître le jour où, en pleine demi-finale du Concours international de Leeds, il s’est interrompu au milieu des Variations Opus 27 de Webern parce qu’il était mécontent de lui. C’était en 1990. Il avait 21 ans. Il était encore étudiant au Conservatoire de Varsovie. Il avait joué les colossales Variations Diabelli de Beethoven en première partie, puis voilà qu’il se disqualifiait lui-même. «Il n’y a pas de quoi être fier. Ce qui s’est passé à Leeds était le signe d’une extrême fragilité et d’un manque de confiance en soi. Je n’étais absolument pas prêt pour le métier.» Après un récital au Wigmore Hall de Londres, en 1991, il lui faudra résister à la pression des agents et apprendre à gérer une carrière. A ce jour, l’anecdote lui colle à la peau.
Sous ses dehors de dandy, Piotr Anderszewski est un artiste très sérieux. Il ne fait rien au hasard. «Je ne peux pas me fixer un projet où le cœur n’y est pas totalement.» Tout est soupesé, au point que le choix d’une pièce est déjà un casse-tête. «Apprendre une œuvre, c’est un tel défi, une telle lutte pour se l’approprier.» Jusqu’au-boutiste, il refuse de se lancer dans des marathons comme certain(e)s jeunes pianistes. «Faire l’intégrale des sonates et des concertos de Beethoven, je ne pourrais tout simplement pas. Je trouve que c’est déjà un travail énorme que de prendre une partition comme une sonate de Beethoven écrite il y a 200 ans, et d’avoir le courage – presque le culot! – de la jouer en public.» Piotr Anderszewski se concentre dès lors sur une poignée de compositeurs, comme Bach, Schumann, Mozart, Chopin ou Szymanowski.
La nécessité des choix
Né à Varsovie le 4 avril 1969, il n’a jamais subi la pression de ses parents pour devenir musicien. «Mon père est Polonais et ma mère est Hongroise. On a beaucoup déménagé, ce qui m’a permis d’être exposé à plusieurs cultures, mais par ailleurs, ça crée une certaine confusion.» Enfant, il a fait un an de piano en Pologne, avant d’être catapulté à Lyon («Je me suis retrouvé au Conservatoire sans parler un mot de français»), Strasbourg, puis à Los Angeles pour revenir à Varsovie, où il s’est perfectionné au Conservatoire. Il vit depuis de longues années à Paris, parlant un français impeccable, voyageant par ailleurs dans les salles du monde entier, comme au prestigieux Carnegie Hall de New York.
Parmi ses compositeurs d’élection, Bach figure au panthéon. Il aime particulièrement Le Clavier bien tempéré . «Pour moi, c’est l’essentiel. Avec toute cette polyphonie, on développe une sensibilité de la main où chaque doigt est une voix différente. Je ne connais pas d’exercice pareil.» De la joie de jouer Bach vient la difficulté de faire des choix dans une musique si riche qu’elle laisse une myriade de possibilités à l’interprète. «Avec Bach, il faut oser se fermer des portes, sinon on court le risque de s’éparpiller.» La musique tardive de Beethoven fait partie de son répertoire de prédilection, notamment la Sonate Opus 110 , laquelle s’approprie le principe de la fugue chère à Bach. «La fugue est une forme qui m’excite intellectuellement, peut-être parce que c’est une fuite en avant.» Piotr Anderszewski a l’air parfois de se fuir lui-même, ce qui donne une intensité insaisissable à ses interprétations. Mais sa concentration est telle qu’il contient ces élans qui pourraient le perdre.
Piotr Anderszewski à la Salle de musique de La Chaux-de-Fonds . Œuvres de Bach, Janacek et Schumann. Ve 7 février à 20h15. www.musiquecfd.ch