Des soupirs et des sourires. Massimo Furlan partage avec des metteurs en scène comme Philippe Quesne et François Gremaud la capacité de susciter dans l’audience des réactions on ne peut plus tranchées. D’un côté, la déception des partisans du sens qui souffrent du manque de narration de ses tableaux animés. De l’autre, les adeptes des sens qui plongent avec délice dans ses images arrêtées. Mardi, soir de première romande de Giacomo au Théâtre du Loup, à Genève, le public de La Bâtie n’a pas échappé à la règle. La majorité des spectateurs ont enfourché le terrible engin du champion de moto italien, Giacomo Agostini, star de la soirée. D’autres sont restés en retrait et ont observé, sceptiques, le va-et-vient immobile mais vrombissant des cylindrées. Le spectacle poursuit sa route à l’Arsenic en octobre et au Théâtre Benno Besson en novembre.

La moto au théâtre? Est-ce bien raisonnable? Le défi a titillé Massimo le facétieux qui puise dans la culture populaire de son enfance italo-suisse les sujets de ses créations. Le foot d’abord en 2003, où il a eu la singulière idée de jouer à lui tout seul, sur de vrais terrains, plusieurs finales de Coupe du monde sous l’intitulé Numéro 23. Ou comment endosser un équipement fantôme et revivre de l’intérieur un événement qu’il avait partagé avec son père, enfant, devant le téléviseur. Lors de chaque «représentation», l’artiste devenu athlète courait pendant nonante minutes, tandis qu’un commentateur sportif restituait le match tel qu’il s’était vraiment déroulé dans le passé. Là, pas «d’images longues» comme Massimo Furlan aime les appeler, mais une contribution en chair et en muscle pour sortir le souvenir de son cadre doré. Une expérience qu’il a reconduite en faisant l’avion sur la piste de l’Aéroport de Cointrin afin de ressusciter les dimanches après-midi où toute la famille Furlan allait voir les avions décoller. Et, chaque fois, l’étonnement du public face aux tribulations de cette figure solitaire dans des lieux démesurés…

Changement de ton, mais pas de propos, pour les spectacles en salle. Sous toit, Massimo Furlan compose des tableaux animés, tout en conservant cette passion pour les sujets vintage issus de son propre passé. Superhéros, Eurovision de la chanson ou motard star, le metteur en scène qui fut d’abord plasticien a l’art des thèmes sans gloire à qui ils donnent une dimension quasi-philosophique. Nimbés de fumée et plantés dans le sol jambes écartées, ses Supermen décalés de 2005 – les comédiens n’avaient pas le physique de l’emploi –, prêtaient d’abord à rire. Puis, au fil de la séquence qui durait, durait, on se mettait à penser à la normativité du regard, à la force du cliché, au besoin de consolation que comblent les héros, à l’envie de se dépasser, etc. Des réflexions que seul le temps long peut laisser émerger.

Le même phénomène se déroule face à Giacomo, spectacle à l’esthétique raffinée qui prend le pari de l’immersion. «Giacomo expérimente le paradoxe de devoir parler de vitesse sur une scène de théâtre, avec des machines immobiles, et de parler de mort et de danger en composant avec des corps d’acteurs», expliquent Massimo Furlan et Claire de Ribaupierre, sa compagne et dramaturge. Dès lors, plutôt que raconter les tribulations de ce motard italien qui a été plusieurs fois champion entre 1968 et 1972, le spectacle propose une matière sans parole, uniquement sonore et visuelle, qui prend le pari de la mystification, du «on dirait que». D’où la séquence inaugurale où l’on voit Roméo, fils de Massimo et Claire, scruter les pièces détachées d’une moto flamboyante disséminées sur la scène tandis que Giacomo, assis de dos (Gianfranco Poddighe), prépare sa future course en en traçant en l’air le parcours de sa main, tel un chef d’orchestre. La figure de l’enfant lance le processus imaginaire qui se concrétise dans le personnage du mécano (Hervé Jabveneau) qui apparait sous les traits du Docteur Spock de Star Trek…

S’ensuit un enchaînement de séquences surréalistes -la rencontre de Giacomo avec les Centaures, symboles de liberté et de puissance- ou parodiques -le passage où les motards dûment casqués et en combinaisons de couleur produisent avec la bouche le bruit des moteurs. Et la vitesse? Comment est-elle rendue? De manière plus ou moins distanciée. Lorsque derrière le motard, juché sur sa moto immobile mais hurlante, défilent à toute allure des paysages abstraits, la vitesse est ressentie au premier degré. Mais lorsque le héros se mesure à des concurrents sur des bolides que les comédiens déplacent en marchant, là, évidemment, la vitesse est plus suggérée qu’éprouvée. L’humour fait aussi partie de cette étrange expédition. Qui, en filigrane, à force de sensations, exprime aussi la fascination du danger et les travers de la compétition.

Giacomo, du 8 au 13 octobre, à l’Arsenic, Lausanne, 021 625 11 36, www.arsenic.ch. Le 8 nov., au Théâtre Benno Besson, Yverdon, 024 423 65 84, www.theatrebennobesson.ch