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Une littérature en partance

A l'occasion de la venue en France des écrivains les plus représentatifs de Nouvelle-Zélande, une série de traductions permet d'aborder un domaine à la mesure du pays.

La littérature se mondialise mais il reste, Dieu merci, quelques provinces lointaines qui échappent au laminage, en se drapant dans les brumes du mystère et de l'exotisme. C'est le cas de la Nouvelle-Zélande, qui évoque pour nous des auteurs disparus, R. L. Stevenson, Katherine Mansfield ou Janet Frame. Mais pour ce qui est du présent, on ne sait pas grand-chose des écrivains embusqués au «Pays du long nuage blanc». Certains d'entre eux, invités ce mois-ci en France par le Centre national du livre, vont débarquer dans nos librairies et c'est une belle occasion de découvrir une terre qui n'est pas seulement composée de clichés, de moutons ou de rugbymen.

Cette terre-là, où la mer n'est jamais à plus de 60 kilomètres, ne cesse d'être fouettée par les vents du large. Ses écrivains savent donc qu'on ne peut pas les enfermer dans des définitions rassurantes, parce qu'ils sont en quête de leur propre visage. «Pour nous, aucun modèle ne s'est imposé, explique l'un de leurs chefs de file, Vincent O'Sullivan. Nous ne savons pas encore bien qui nous sommes, où nous allons. Nous commençons à peine à comprendre d'où nous venons.» Ces propos, beaucoup de romanciers néo-zélandais pourraient les tenir, et le traducteur Pierre Furlan ajoute: «L'histoire de l'identité culturelle, là-bas, est une navigation. Elle rejoint ainsi la mythologie maori qui voyait dans l'île du Nord un poisson tirant le canot représenté par l'île du Sud, une image qui a dû hanter l'inconscient de bien des écrivains.»

La littérature néo-zélandaise est donc une sorte de bateau ivre, un creuset bouillonnant où se mêlent les influences anglaises, les stigmates de la colonisation et les réalités insulaires. Ce télescopage est au cœur de Rescapée, par exemple, où Fiona Kidman (née en 1940) évoque les relations souvent orageuses entre Européens et Maori, en racontant l'enlèvement d'une immigrante britannique par une tribu indigène au mitan des années 1830: on découvre un pays en pleine métamorphose, et tous les préjugés raciaux qui le transformèrent en poudrière. Cette poudrière, on en devine aussi la menace chez Owen Marshall (né en 1941) traduit pour la première fois en français: la violence couve dans ses Hommes fanés, où les drames de ses héros - ils sont enfermés dans le huis clos d'un hôpital - s'ajoutent à la sauvagerie d'une nature indomptable.

Toutes ces turbulences sont le signe d'une littérature inquiète, et volontiers vagabonde. En Nouvelle-Zélande, on est toujours loin de chez soi, toujours en route et en partance. C'est peut-être pour cette raison que l'excellent Chad Taylor (né en 1954, installé à Auckland) aime orchestrer ses intrigues dans des hôtels ou des lieux de transit. «J'ai le sentiment d'être un voyageur et parfois un étranger», dit-il, et l'on ne s'étonne pas du titre de son dernier roman: Salle d'embarquement, un polar à la Maurice Leblanc - avec un zeste de Paul Auster - où un petit frère d'Arsène Lupin nous révèle pourquoi il est devenu un accro des cambriolages. Et pourquoi le crash du DC-10 d'Air New Zealand dans l'Antarctique (en janvier 1979) va le conduire sur les traces d'une mystérieuse sirène, au fil d'une enquête qui se double d'une magnifique déambulation à travers Auckland, «la ville où l'on n'est jamais que de passage, avec l'angoisse de mal distinguer entre le réel et l'irréel».

Quant à Vincent O'Sullivan (né en 1937), il est lui aussi un romancier de la quête. Dans Les Lumières du bout du monde, il renoue avec la tradition du road movie pour raconter la cavale d'un étrange trio - une religieuse, une maquerelle et un jeune sauvageon - qui, à bord d'une Chevrolet, fonce vers le sud de la Nouvelle-Zélande sans savoir que le diable attend au virage. Fiona Kidman, Owen Marshall, Chad Taylor, Vincent O'Sullivan: quatre ambassadeurs des antipodes, pour découvrir un pays déroutant qui «ressemble à une fumée dérivant au-dessus de la fleur blanche de l'Antarctique».