A l’origine, c’est une histoire de passion sur fond de vénalité, de prostitution, de couvent, de rédemption et de mort. Un sujet fait pour Olivier Py. Le metteur en scène, de retour à Genève après 6 ans d’absence, revient au Grand Théâtre avec Manon de Massenet. Lundi soir, le trublion français a été accueilli en prince aux saluts.

Après sa dernière Lulu barbouillée de couleurs et trempée dans la noirceur, Py empoigne «Manon» par ses sources littéraires. Dans le livre de l’abbé Prévost, Manon Lescaut est une fille de mauvaise vie. L’action se déroule dans un milieu interlope où le jeu, le profit et la manipulation érotique règnent. L’amour fou qui lie la vénale Manon au chevalier Des Grieux les entraîne dans une inévitable descente aux enfers.

Noblesse et bassesse. Olivier Py se plaît à tisser et dénouer sans relâche les liens intimes de ce couple-là, même si la Manon de Massenet se veut nettement moins subversive que l’histoire originelle. Le livret d’Henri Meilhac et Philippe Gille raconte un autre destin. Celui d’une femme qui ravage son amour par sa dépendance à la richesse et à la frivolité. Ses remords, son pardon et sa rédemption n’y changeront rien. La mort l’attend au bout du chemin, et son amant déchiré lui survit. La morale est sauve.

Rien n’y fait, Olivier Py s’obstine sur la voie d’une sexualité sinistre et toute-puissante, d’un pouvoir masculin violent et humiliant. Hôtels de passe et arrières coins sordides s’encastrent dans les parois noires, entre prison et couvent, de Pierre-André Weitz. Des enseignes lumineuses, des décorations de cocotiers sur des plages caribéennes et des costumes baroques et multicolores composent un contrepoint délirant et factice à cet univers morbide.

Les séductions visuelles, très maîtrisées, restent pourtant froides. Le magnifique ciel d’étoiles, les reflets scintillants d’une boule à facette ou la sublime robe pailletée d’une Manon mi-reine, mi-meneuse de revue, poétisent le spectacle. Mais l’ambiance générale du plateau surligne un discours qui s’inscrit dans le droit fil de Lulu.

Les héroïnes perdues, Patricia Petibon les porte à leurs extrêmes. De fragilité, de perversité et de lyrisme. Sa Manon donne la chair de poule. Du bouleversant «Adieu, petite table» au «N’est-ce plus ma main…» débordant de désir, en passant par les airs qui rendent la partition si prenante, la soprano brûle de passion comme elle grelotte de désespoir. La voix éblouit dans chaque registre, le grain se transforme sous les émotions et l’incarnation touche à l’identification intime.

Face à elle, Bernard Richter tient le physique, la jeunesse, l’aveuglement amoureux et la naïveté du chevalier Des Grieux. Son timbre rayonnant, la dynamique remarquable de ses nuances et la sincérité absolue de son jeu mériteraient un chant moins tendu et parfois moins criard. Le Lescaut-maquereau de Pierre Doyen tient fermement la rampe dans une forte projection vocale et un jeu pervers à souhait. Parfait d’aigreur et de naturel scénique, Rodolphe Briand incarne un Guillot idéal devant le Brétigny pathétique très convaincant de Marc Mazuir, et le comte Des Grieux plein d’élégance de Balint Szabo.

Avec un OSR en très belle forme, charnel, éclatant et gonflé de sensualité sous la direction avisée de Mako Letonja, le trio de «filles» de Seraina Perrenoud (Poussette), Mary Feminear (Javotte) et Mariana Viotti (Rosette) complète une distribution équilibrée et bien menée.


Opéra des Nations, 40, Av. de France. Les 15, 17, 19, 21, 23, 25 et 27 septembre. Rens: 022 322 50 50, www.geneveopera.ch.