Une prise de chant
«Tchamantche» est une prouesse de textures.
Cela débute, mine de rien. On n'est pas loin de ce qu'on sait d'elle. La voix juste une octave en dessous. Plus ample, de glaise humide. La guitare tournicote, comme depuis quarante ans de chanson malienne, depuis Farka Touré; elle chante Soundiata, le vieil empereur malien trop chanté. Et puis la chose tourne. Les cordes s'emballent. Des espaces de Californie (Ry Cooder, à deux pas, et même Marc Ribot chez Tom Waits), des chœurs superposés, du tambour. Le timbre de Rokia, parfois proche de la grimace, qui fonce en travers de l'accord. Jamais Rokia, au fond, n'a été si rock.
Et tout cet album, peigné avec minutie, chaque détail grisé au microscope, se pose comme une confirmation. Il file vers «Zen», en français, un français presque sans consonne, aspiré. Rokia est urbaine, jusqu'aux plis du beat box, et du lamellophone, empilés. C'est la grande trouvaille de Tchamantche. Intégrer le matériel mandingue, dans une poétique nomade. «The Man I Love», traité comme une louange antique ou un blues du delta.
Et on finit par ne plus se référer. Difficile d'établir des précédents. Rokia Traoré n'est plus cette fragilité à laquelle on cherchait des anges. Elle vole solo.
«Tchamantche», Rokia Traoré, (Universal).