Le rideau s’ouvre et le public fait «Ohhh!», ébloui par les décors illustrant la grande horloge de l’ancienne gare d’Orsay à Paris. Il y a une ambiance de féerie avec ces personnages figés comme des statues de cire qui soudain prennent vie sitôt l'«Ouverture» de La Vie parisienne lancée. Dix ans après Jérôme Savary, c’est au tour du metteur en scène belge Waut Koeken de s’emparer de l’opéra bouffe d’Offenbach à l’Opéra de Lausanne. Un spectacle rythmé, dynamique, porté par une équipe de chanteurs alerte et une direction stylée.

Des dialogues adaptés au goût du jour

Là où Savary n’y allait pas avec le dos de la cuillère, Waut Koeken se montre plus fin. Jeux de mots coquins, allusions au monde d’aujourd’hui: les dialogues ont été actualisés. Au détour d’une phrase, il y a des glissements de sens, les «descendants» devenant «des sans-dents», la «micro, macro économie» basculant vers «la Macron économie», et le bottier Frick (au look de Karl Lagerfeld!) se faisant appeler «Jean-Paul Bootier». La femme du baron de Gondremarck, elle, est venue à Paris pour écouter la Dessay dans Don Pasquale et Adjani dans Les Trois Sœurs, alors que dans le livret d’origine, à la création en 1866, il s’agissait de la Patti dans Don Pasquale et de Théréza dans Le Sapeur. Du reste, le train en provenance de Trouville arrive «avec 150 ans de retard» au début du spectacle…

Conflits de classe sociale

Le Paris du Second Empire n’est pas entièrement gommé, puisque l’on retrouve les conflits de classe sociale inhérents au livret de Meilhac et Halévy. Artisans, bourgeois et aristocrates s’adonnent à la fête et aux griseries de l’alcool dans cette société vouée aux plaisirs faciles. Et puis le baron suédois en voyage à Paris n’a pas changé d’idée: cet homme du monde veut «s’en fourrer jusque-là», quitte à tromper sa femme!

Dès la première scène, on voit Raoul de Gardefeu et Bobinet, deux dandys, qui attendent leur maîtresse Métella dans un hall de gare. Ils ont chacun un bouquet de fleurs. Ils se disputent la belle. On entend une voix off avec le fameux «jingle» de la SNCF; deux soldats surveillent les passants de leurs mitraillettes. Ce Paris moderne tranche avec la dégaine de Métella, semi-bourgeoise, et de son nouvel amant qui arrivent enfin. Au comble du désespoir, les deux dandys jettent leurs bouquets de roses: ils vont se liguer contre elle. Mais Gardefeu a d’autres projets en tête.

Effets pernicieux de l’alcool

Déterminé à se rabattre sur la femme du baron suédois, il endosse les habits de son domestique Alphonse et se fait passer pour le «guide du Grand Ritz». Tout est truqué, faussé, afin de conquérir la baronne. Le Baron de Gondremarck – bien que troublé – va tomber dans le piège que lui tend Gardefeu. Il se croit logé dans une dépendance du Ritz, alors qu’il s’agit de l’hôtel particulier de Gardefeu. Il veut côtoyer la haute société de Paris, alors qu’on lui présente de faux convives de marque. Et voici le pauvre homme qui débarque en avance à une soirée: «Je suis trop tôt. D’ailleurs, la baronne me dit toujours: «Tu viens trop tôt!». Pas de «french cancan», mais une succession de numéros bien ficelés, jusqu’à ce que le baron soit déjoué dans ses plans de conquête féminine et humilié par sa femme. Même la Tour Eiffel (amusantes projections vidéo) commence à vaciller sous les effluves de l’alcool!

Un orchestre qui pétille

Cordes fines et ciselées, allégement du tissu orchestral, rythmes bien tenus: le jeune chef belge David Reiland tire Offenbach du côté de la comédie mozartienne. Le Sinfonietta de Lausanne pétille avec esprit. Parmi les chanteurs, on distinguera Melody Louledjian, soprano au timbre sensuel et fruité qui confère tout son charme à Gabrielle (très joli numéro de la «veuve du colonel»!). La gracieuse Léonie Renaud séduit dans son charmant duo avec le baron («L’amour, c’est une échelle immense»), tandis que Brigitte Hool compose bien le rôle de la baronne de Gondremarck, pincée comme il se doit, malgré des aigus un peu stridents. Marie Kalinine, au medium corsé et aux accents appuyés dans le grave, a encore à développer sa sensualité (vocale) en Métella.

Le ténor Philippe Talbot, lui, est vif, éloquent et suave en Gardefeu, face au baryton dégourdi de Christophe Gay en Bobinet (encore que celui-ci pourrait affiner les nuances). Très bon comédien, Patrick Rocca joue de sa voix plus parlante que chantante en baron de Gondremarck. Stuart Petterson campe un Frick à l’accent délicieusement germanisé, alors que Louis Zaitoun manque un peu de gouaille (et de coffre) en Brésilien.

Si les amoureux d’Offenbach seront déçus de ne pas voir de «french cancan» sur le plateau, les chanteurs et choristes de l’Opéra de Lausanne se meuvent avec aisance dans les chorégraphies de Philippe Giraudeau. Offenbach sans lourdeurs, dans l’allégresse, c’est un délice. Un plaisir pour les yeux comme pour les oreilles.


«La Vie parisienne» à l’Opéra de Lausanne. Jusqu’au 31 décembre. Complet. www.opera-lausanne.ch