Il arrive en scooter et commande une entrecôte. Réflexes de Parisien. «Ce sont les deux choses qui me restent de la capitale», concède Sam Stourdzé, directeur du Musée de l’Elysée, à Lausanne, depuis le 1er mai 2010. Il a donné rendez-vous au Café du Simplon et explique les lieux, le patron et le menu comme s’il venait là depuis toujours. En un peu plus d’une année, le «photophile» a creusé son sillon lausannois, trouvé son Stamm et – surtout – bousculé l’institution qu’il administre avec une vitalité formidable. Il avait d’ailleurs pensé à fixer la rencontre Chez Elise, le tout nouveau café du musée, mais l’endroit ne dispose pas d’une terrasse.
Une année féconde
Outre cette création bistrotière, Sam Stourdzé peut se targuer d’un premier bilan fécond. «La Nuit des images», il y a dix jours, a drainé une foule compacte dans les jardins de l’Elysée. Le magazine Else, lancé juste avant, ambitionne de devenir une publication de référence pour la photographie. En plus des expositions – Irving Penn, Steiner et Fellini essentiellement – l’homme a commencé à organiser des conférences avec de jeunes photographes, accueilli le fonds Chaplin ou engagé des partenariats avec d’autres institutions, comme la Cinémathèque suisse.
Tant d’activisme mérite sans doute une trêve estivale; Sam Stourdzé a l’œil un peu cerné sous le ciel gris de cette fin de juin. Mais les vacances attendront encore. Les Rencontres d’Arles débutent ce lundi, et l’événement est incontournable pour un professionnel de la photographie. «C’est d’abord un plaisir de voir toutes ces expositions, mais cela m’économise également une quinzaine de voyages à l’étranger, pour honorer des rendez-vous», explique-t-il en picorant une frite tombée à côté de son assiette. Le Français, avant tout, a été choisi pour être l’un des cinq «nominateurs» du Prix Découverte, qui sera décerné samedi. A ses côtés, quatre autres jeunes responsables d’institutions, comme Simon Baker, récemment nommé premier conservateur pour la section photographie de la Tate de Londres.
«C’est un grand plaisir de jouer ce rôle et de pouvoir défendre hors de mes terres des photographes avec qui j’aime travailler. Je rêve pour eux. Mais, à l’évidence, le simple fait d’être là, au-delà de l’obtention du prix, allongera leur carnet de commande d’expositions d’ici à la fin de l’été.» Les trois poulains de Sam Stourdzé sont les Romands Yann Gross et Jean-Luc Cramatte, associé au Camerounais Jacob Nzudie, et le Français Raphaël Dallaporta. «Ce trio s’est imposé, car le Musée est déjà engagé dans une relation de promiscuité avec eux. C’est aussi notre rôle d’institution de faire des choix et de les clamer haut et fort. La scène photographique suisse en a besoin», souligne le directeur.
Rencontre avec Helmut
Avant d’être «nominateur», Sam Stourdzé a monté plusieurs projets pour le festival arlésien, en tant que commissaire indépendant mais aussi dans le cadre de son mandat lausannois. L’exposition reGeneration2, par exemple, était présentée l’année passée dans la cité rhodanienne. La première fois qu’il s’y est rendu, le Parisien avait une vingtaine d’années. «Je me suis débrouillé pour conduire le camion contenant les photos des galeries de la capitale. Je suis arrivé sonné après une journée de route. On m’a accueilli par un pastis sur la place du Forum, se souvient le Picard d’origine entre deux gorgées d’eau minérale. A côté de moi se trouvait un type en short de tennis blanc, les chaussettes remontées aux genoux. En face, un homme plus jeune lui a demandé: «Tu peux me passer l’eau, Helmut?» «Tiens Ralph», a répondu mon voisin avec un accent épouvantable. J’étais assis à côté de Helmut Newton et de Ralph Gibson!»
Ce jour-là, il n’a rien osé dire aux monstres sacrés. Mais, à 38 ans, Sam Stourdzé parle beaucoup; le contenu de l’assiette diminue doucement, tandis que le vent se lève. Toutes les frites sont terminées, les navets gisent dans un coin, intacts. Réflexe de cinéphile? Après Arles, l’homme se réjouit de rejoindre Locarno pour quelques toiles. L’occasion, encore, de nouer des contacts professionnels. Sam Stourdzé a déjà monté deux expositions liant photographie et cinéma, autour de Chaplin et de Fellini.
Quinze jours de l’été, tout de même, seront consacrés aux vacances. Une petite maison sans électricité plantée sur une colline de la frontière franco-espagnole accueillera la famille une semaine durant. Puis le trio – les parents et leur fille de 9 ans – se rendra au Tessin. «Deux semaines, c’est beaucoup pour moi, admet le père. J’adore l’idée des vacances, mais je finis toujours par m’ennuyer et souvent par travailler. Cela dit, il est nécessaire de se ménager des pauses et des moments différents.»
Car le programme, outre les festivals, est déjà chargé. Ces prochaines semaines, Sam Stourdzé entend boucler un livre sur les photos en couleurs du film Huit et demi et un autre sur le travail de Jean-Luc Cramatte et Jacob Nzudie, présenté à Arles. Ce sera encore le temps des séminaires avec l’équipe du musée, «le seul moment où l’on peut prendre un peu de recul». Dès la rentrée, il faudra songer aux prochaines expositions, à la pérennisation du magazine Else et de «La Nuit des images». L’institution, en outre, est invitée à présenter ses dernières acquisitions au salon Paris Photo, qui se tiendra début novembre.
«Brassage permanent»
Le directeur, pour autant, met un point d’honneur à ne pas quitter le bureau après 19 heures. «Les longues soirées d’été permettent une deuxième journée après le travail. J’adore l’idée de pouvoir me baigner ou pique-niquer sur mon lieu de vie. Je vais le plus souvent possible au bord du lac.» Vidy, il est vrai, est plus authentique que Paris Plage, et Sam Stourdzé s’est fait joyeusement à la vie d’ici.
«Au début, je me méfiais lorsqu’un inconnu me disait bonjour. Désormais, je trouve cela agréable! Quant à la taille de Lausanne, après celle de la capitale française, elle me va bien également. Mon rapport au territoire a changé depuis que j’ai compris que la Suisse n’était pas vraiment un petit pays mais plutôt une grande ville. On est à une demi-heure de Genève, deux heures de Zurich; ce brassage permanent me fascine et nourrit mon activité», analyse le patron de l’Elysée en avalant deux boules de mousse au chocolat.
Devant lui, la crème chantilly reste entière, comme une bonne moitié du café de Paris tout à l’heure. «Je mange souvent dehors, alors je dois faire attention.» Réflexe de bientôt quadragénaire.