Venez apprendre comme c’est étrange
Monstres
Professeur à la Sorbonne, Patrick Dandrey entame à Genève un cycle de conférences centrées sur la notion d’étrangeté, tant dans le domaine de la philosophie que dans celui des arts

En moyen français – cet état intermédiaire de notre langue que l’on parlait et que l’on écrivait en gros entre le XIVe et le XVIe siècle –, l’adjectif estrange signifiait beaucoup plus de choses qu’en français moderne. Il désignait, comme aujourd’hui, ce qui échappe aux normes (le bizarre), mais il pouvait de plus matérialiser la notion d’éloignement géographique (l’exotique) – bref: l’estrange, c’est tout autant l’étrange que l’étranger.
C’est sur cette multiplicité de sens que Patrick Dandrey, professeur à la Sorbonne, ancre les quatre prometteuses conférences qu’il donnera dès ce lundi à Genève, à l’initiative conjointe de l’Université et du Bodmer Lab.
Méditation sur l'inconnu
Pour ce spécialiste de Molière et de La Fontaine, ainsi que de la représentation de la mélancolie dans les arts, l’étrangeté est un magnifique terrain de jeu intellectuel, et un carrefour qui ouvre sur de multiples embranchements de pensée. Le programme des présentations en témoigne, qui mènera le public d’une réflexion sur la notion même de bizarrerie dans les savoirs antiques (tant Aristote que Démocrite ou Hippocrate avaient réfléchi à ces accrocs dans la trame du concevable) à un voyage vers des actualisations un peu plus proches de nous: la nostalgie comme métabolisation de cet éloignement géographique qu’on a longtemps nommé l’estrangement; les fantasmes de l’hybridité entre l’homme et l’animal, en particulier dans le domaine du conte et de la fable; et enfin les angoisses liées aux schèmes de la monstruosité et de la métamorphose (avec un accent particulier porté sur une vedette du domaine: le loup-garou).
Dans La Cité de Dieu, saint Augustin expliquait que l’Homme a pour habitude de qualifier de monstrueux les faits et les êtres dont il n’arrive pas à expliquer l’origine («Un prodige ne se produit pas contre la nature, mais contre ce qui est pour nous la nature connue»). Les conférences de Patrick Dandrey devraient contribuer à faire connaître tout le potentiel philosophique et poétique de cette antique méditation sur l’inconnu.