classique
Le festival se termine avec un taux record de vente de billets. Bilan chiffré et temps forts de cette édition radieuse

Bien sûr, il y a les chiffres record. Plus de 37 000 billets vendus (soit une augmentation de 16% par rapport à l’année dernière, grâce notamment à un nombre plus important de concerts), 50 000 mélomanes venus assister aux événements du Verbier Festival (contre 35 000 en 2012), 750 000 connexions dans 177 pays pour les concerts retransmis en direct sur la plateforme de streaming medici.tv: le Verbier Festival est en état de grâce. C’est sa «meilleure année» depuis sa création en 1994, soit un vingtième anniversaire radieux.
Mais l’essentiel se joue ailleurs, dans toute la préparation menée en coulisses. Le Verbier Festival a beau réunir des stars qui ont la cote et que l’on peut juger surmédiatisées, ces musiciens sont appelés à se dépasser. «En apparence, l’atmosphère peut paraître assez détendue à Verbier, explique Martin Engstroem, directeur du festival, mais les artistes sont obligés de répéter et de se présenter sous leur meilleur jour, d’autant qu’ils savent que leurs collègues assistent aux concerts et les évaluent.» Toutes les générations s’y côtoient, des plus jeunes aux vétérans, comme le pianiste Menahem Pressler, 89 ans. Il fallait le voir, vendredi soir, jouer le Grand Duo de Schubert et la Sonate Opus 96 de Beethoven avec Maxim Vengerov: un tandem d’une exquise sensibilité et tendresse (malgré quelques fausses notes). Le type de rencontre musicale qui fait l’exception de Verbier.
L’une des stars du festival, c’est l’orchestre des jeunes. Une nouvelle fois, ces musiciens auront côtoyé des stars de la baguette, comme Charles Dutoit, Valery Gergiev ou Kent Nagano, venu diriger l’ultime concert symphonique, hier soir. «J’étais ici durant les quatre premières éditions de Verbier, de 1994 à 1997, quand le festival travaillait avec d’autres orchestres de jeunes, puis je suis revenu il y a environ dix ans, se souvient le chef américain. Aujourd’hui, le Verbier Festival Orchestra est devenu une formation brillante techniquement, de sorte que si vous avez un peu de temps pour répéter, vous pouvez produire des œuvres d’art stupéfiantes.»
Et d’insister sur le sérieux qu’implique l’abord de partitions de la musique occidentale. «Cette musique est si riche de détails à coordonner – l’intonation, la dynamique, le phrasé, le rythme, le caractère musical – qu’elle exige des recherches sans relâche.» Le dépassement de soi, cette passion de la transmission se ressentent à tous les niveaux.
Côté pianistes, la relève s’annonce d’un niveau exceptionnel. Le Russe Daniil Trifonov, 22 ans, affiche l’un des plus beaux touchers du circuit, d’un lyrisme irisé et coloré (ses Préludes de Chopin!). Le Canadien Jan Lisiecki, 18 ans, progresse: un jeu d’une grande pureté et une articulation claire dans la 1re Partita de Bach, des Etudes de l’Opus 10 de Chopin aux accents qui s’affirment toujours plus (sans pour autant égaler Trifonov). La Géorgienne Khatia Buniastishvili tangue entre élans d’inspiration portés par une technique très inventive et effets grossiers (la Valse de Ravel) ou sentimentaux. Louis Schwizgebel, David Kadouch et Adam Laloum (son récital Brahms!) auront ému chacun à leur manière dans la série des cinq Concertos pour piano de Beethoven dirigés par Charles Dutoit, couronnée par la Fantaisie Opus 80, très bien défendue par Elisabeth Leonskaja, le Collegiate Chorale de New York et le chef lausannois.
Côté violonistes, le Russe Ilya Gringolts, au son un peu étriqué et raide il y a dix ans, a incroyablement mûri. La Géorgienne Lisa Batiashvili et la Néerlandaise Janine Jansen affichent de belles personnalités. Quant au Quatuor Ebène, il s’affirme comme le plus beau quatuor français de sa génération, dans un 4e Quatuor de Bartók âpre, tendu et varié dans les atmosphères, et le Quintette de Schubert, avec Frans Helmerson, donnés samedi soir. On y admirait le souffle, l’extraordinaire variété des accents, viennois parfois, et la palette de nuances.
Parmi les autres temps forts du festival, la soirée d’opéra de Gergiev avec un Bryn Terfel au sommet dans les «Adieux de Wotan» de La Walkyrie (couplé à un très bon 1er acte d’Otello de Verdi) et le Requiem de Verdi, dirigé par Gianandrea Noseda, auront marqué cette vingtième édition. Le récital du baryton britannique Simon Keenlyside, venu pour la première fois à Verbier, était une leçon de chant dans la mélodie française en particulier (les Histoires naturelles de Ravel).
Parmi les déceptions, le concert des vingt ans du festival a paru terne dans sa deuxième partie. Là où l’on s’attendait à un feu d’artifice, les 24 Préludes de Chopin transcrits par Dmitri Sitkovetsky, joués par une trentaine d’artistes du festival à la suite les uns des autres, n’ont pas tenu en haleine le public.
L’été prochain, la cadence des concerts ne sera pas aussi soutenue, annonce Martin Engstroem, mais l’esprit de famille persistera, avec ce goût du melting-pot des générations et du partage. Ce sera à nouveau l’occasion de prendre la température de la planète «classique».
Le dépassementde soi, la passionde la transmission se ressentent à tous les niveaux du festival