A Vevey, la descente en caveaux après le spectacle
Fête des Vignerons
La Fête des Vignerons convie chaque soir 20 000 personnes dans son Colisée de la place du Marché. Puis le public s’éparpille et festoie en terrasse et sous-sol. Nous l’avons suivi

Minuit passé, terrasse de La Clef, bistrot historique de Vevey, à deux pas des arènes. Ça boit, ça chante et ça esquisse des pas de danse. Passe une jeune fille en tenue de service fluo, tirant derrière elle un énorme aspirateur. La voirie veveysanne appelle cela un «glouton». Silence immédiat des fêtards puis des applaudissements. Un jeune homme se dirige vers l’employée avec un verre, lui tend, elle refuse, lui souffle un baiser, elle sourit. Clap de fin. Le garçon a rejoint son groupe, la demoiselle la rue à peine souillée de mégots, papiers gras et canettes. Une heure avant, la joliment costumée Nathalie Koenig nous avait parlé de l’âme de la Fête des Vignerons «emplie de bienveillance, de solidarité, où les classes sociales tombent, où tout le monde se tutoie, une grande famille quoi!» Pas faux à l’image de la jeune fille à l’aspirateur qu’un bref hommage rendit tout à coup visible.
Restons avec Nathalie Koenig. Elle a été vue ce soir-là assise en haut de quelques marches, près du Super Bowl (c’est ainsi, paraît-il, que la presse américaine nomme les Arènes). Un peu seule, sans doute légèrement avinée (qui ne l’est pas?), extatique presque. Elle est de Saint-Légier, est manager en marketing, a à la maison trois ados qui ont accepté de se joindre aux Maîtres-Tailleurs, sa troupe. Voilà sa gloire, car ce n’était pas acquis d’avance. Pas évident en effet de convaincre des grands garçons d’enfiler une espèce de kimono «avec des pans argentés qui symbolisent la glace hivernale et des éléments violets qui figurent l’écorce de l’arbre».
Retrouvez toutes les images du reportage: Les soirées de la Fête des Vignerons
Bénévole, une histoire de famille
Pas facile non plus l’hiver passé de dire non au ski «car intégrer le spectacle impose dix mois d’intenses répétitions». Nathalie explique: «La Fête des Vignerons est une transmission et je suis fière que mes enfants prennent le flambeau. Petite, je fouillais le bahut de ma grand-mère et j’en sortais les robes et fichus qu’elle avait enfilés lors de l’édition de 1955. Ma mère a participé en 1977, moi déjà en 1999.» On entend au loin les fifres et les tambours de Bâle. «Incroyables ceux-là, ils n’arrêtent pas. Ils paradent jusqu’à 2h du matin», dit-elle. Déjà nostalgique: «En 1999, quand ils ont commencé à tout démonter à coups de marteau, j’ai beaucoup pleuré.» Nathalie attend ses grands ados puis tous vont filer au Chien Bleu, le caveau installé dans les anciennes halles de la forge de Vevey, le repaire des Maîtres-Tailleurs.
La fête des caveaux
La Fête des Vignerons est aussi celle des caveaux, pour les afters. Caveaux officiels (une quinzaine) dédiés aux troupes d’acteurs figurants, caveaux officieux (une trentaine) pour les publics épars, touristes, bandes d’ami(e)s, nouveaux ou vieux couples. Le fameux et très couru Caveau de l’Embuscade est tentant mais l’étroit passage qui y mène laisse entrevoir sur la droite une dégringolade de marches puis à entendre les notes d’un accordéon. C’est le Caveau des Artistes ouvert par Carol, dont le papa est peintre et la maman, décédée l’an passé, était encadreuse de tableaux.
Voir aussi: Fête des Vignerons: la soirée d'ouverture en images
Carol a fait le ménage dans leur cave et s’est dit qu’il y avait de quoi ouvrir un lieu festif à l’occasion de la Fête des Vignerons. Un bar, des tables rondes et des tabourets, de faux ceps et raisins au plafond, les tableaux du papa aux murs et au menu, des planchettes de fromages et viande séchée. Ce soir-là, un groupe de Belges très euphorique jugeait que Vevey était l’autre pays du carnaval tandis qu’un homme enivré et costumé (chemise en coton, gilet en lin) cherchait désespérément un Uber pour rentrer chez lui.
La nuit, le sérieux s’efface
D’un caveau à l’autre, il y a ces passages sous le ciel étoilé qui donnent à voir très tard des ombres en glissade. Impression d’être à Venise lorsque les paquebots ne se garaient pas encore sur la place Saint-Marc. Il est conseillé durant ces festivités veveysannes (qui s’achèvent le 11 août) de marcher tard.
Certes à la sortie des Arènes, les parades en musique sont à voir autant qu’à écouter. Mais à point d’heure, les étoffes qui filent et se faufilent tracent un mystère. Suivre donc les Effeuilleuses, les Armaillis en chapeau de paille et canne à la main, un couple d’Etourneaux, les femmes de Saint-Martin en bustier et jupe en lin, des fourmis, des mouches, des papillons et, là-bas, une luciole. Cette dernière s’appelle Bérengère, est étudiante «en informatique industrielle et embarquée». Comment une jeune femme si sérieuse peut-elle ainsi se grimer? Réponse: «Je suis programmée pour faire la fête tous les vingt-cinq ans.» Rires puis envol.
Prendre conseil auprès de guides en échasses plutôt qu’auprès de son smartphone
Vous vous êtes perdu, auriez tant à voir que vous ne voyez plus rien? Ne consultez pas votre iPhone. Prenez conseil auprès de la soixantaine de Marmousets, ces guides officiels munis d’échalas eux-mêmes coiffés d’étranges bestioles. Gabrielle, factrice à Vevey, est une Marmouset qui connaît les rues comme sa sacoche. Un incontournable caveau? «Celui des Cent-Suisses, rue du Théâtre», assène-t-elle. Cadre rouge et rococo et en bas un dancefloor dans une cave voûtée. Trois cents teufeurs boivent, dansent et se collent.
«Ici, c’était l’ancienne halle aux poissons», montre Stéphane Krebs, le commandant du corps des Cent-Suisses, architecte paysagiste dans le civil. La troupe des Cent-Suisses a mis deux mois pour aménager ce caveau. Puis a fait appel à la discothèque du Mad à Lausanne pour animer le lieu avec DJ et effets de lumière. Cette nuit-là, Goldman, Balavoine et Mylène Farmer sont au programme. Un peu rétro mais terriblement entraînant.
Peu de débordements
On se demandait où étaient les jeunes, la moyenne d’âge aux alentours des Arènes et sur les rives du lac étant plutôt élevée. On en a débusqué là. Dehors, dans un recoin d’ombre, un jeune couple se palpe, se frotte, se serre. Des passants sont gênés. Il est acteur figurant ces jours-ci et menuisier le reste de l’année, elle est vendeuse dans une boutique toute proche. L’idylle est née il y a trois nuits, cette quatrième promet d’être tout aussi fiévreuse. La Fête des Vignerons fabrique des amours passagères ou durables. Stéphanie, guide Marmouset elle aussi: «L’amour vaut mieux que la violence, un policier que je connais m’a dit qu’il n’y avait eu pour le moment que 404 débordements, des choses pas graves comme des débuts de bagarre ou des vols de porte-monnaie, ce qui est très peu.»
Les Veveysans sont fiers de leur fête et le clament. Une dame de la Saint-Martin, aux couleurs du vignoble, demande: «Vous en connaissez, vous, une autre ville aux 6000 bénévoles capable de proposer un spectacle si professionnel?» Répondre que nous ne l’avons pas encore vu. Réaction outrée de la dame de la Saint-Martin: «Quoi? Il y a un festin et vous vous contentez de venir manger les miettes sous la table?»