Mieux vaut commencer par se rendre à l’évidence: The Broken Circle est un vrai rouleau compresseur émotionnel. Dans la manière dont ce «cercle brisé» se déroule, on défie quiconque de rester insensible à l’histoire d’amour du musicien Didier et de la tatoueuse Elise, unis pour le meilleur et pour le pire. Est-ce que cela suffit à faire un chef-d’œuvre? Peut-être pas, mais quelle expérience! Pour une fois qu’un film flamand parvient jusqu’à nous, on ne va pas faire la fine bouche.

The Broken Circle – en réalité The Broken Circle Breakdown, retitré Alabama Monroe en France – est le quatrième opus de Felix Van Groeningen, jeune cinéaste gantois de 35 ans. Ses trois précédents, Steve + Sky (2004), With Friends Like These (Dagen zonder lief, 2007) et La Merditude des choses (De helaasheid der dingen, 2009), avaient déjà excellente réputation, mais le cinéma européen reste le grand oublié de notre distribution comme de nos festivals helvétiques…

Pour ce nouveau film, le cinéaste s’est inspiré d’un spectacle ayant fait sensation en 2009, The Broken Circle Breakdown Featuring the Cover-Ups of Alabama, écrit et interprété par Johan Heldenbergh et Mieke Dobbels: un concert de musique country «bluegrass» entrecoupé par l’histoire tragique d’un couple qui perd sa fillette. Adapté pour l’écran, c’est devenu un pur mélodrame dont on ne soupçonnerait plus du tout l’origine théâtrale. Avec une actrice magique, Veerle Baetens, à la place de la trop peu photogénique co-autrice.

La particularité du récit réside dans sa déconstruction chronologique. Dès le début du film, on apprend avec Didier et Elise que leur petite Maybelle souffre d’un cancer. Puis le récit reprend avec leur rencontre sept ans plus tôt, entrecoupé de retours au présent du traitement médical. Même s’ils ont déjà pas mal roulé leur bosse l’un et l’autre, c’est un vrai coup de foudre réciproque. Auprès de Didier, leader hirsute d’un groupe de bluegrass, la petite tatoueuse Elise (elle-même couverte de tatouages immortalisant ses aventures passées) se mue peu à peu en chanteuse de talent. Ils vivent ainsi d’amour, de musique et d’eau fraîche à la campagne, jusqu’au jour où elle tombe enceinte…

Le récit avance entrecoupé de chansons interprétées sur scène, qui laissent deviner la progression du groupe, de bars populaires en salles de concerts plus distinguées. Surtout, ce montage permet d’alterner à un rythme soutenu hauts et bas, moments gais et moments tristes. Ce qui n’empêche pas Maybelle de laisser un terrible vide quand elle meurt. Désemparés, Elise et Didier vont-ils pouvoir surmonter cette terrible perte, ou leur couple va-t-il éclater?

La seconde partie y répond en poursuivant les allers-retours temporels mais aussi en prenant de la hauteur, Elise tentant de se raccrocher à une dimension spirituelle tandis que Didier proclame haut et fort son athéisme. De même, alors que sa fascination pour l’Amérique en prend un coup, l’obscurantisme des années Bush cadrant mal avec le rêve qui fonde son existence, la plus radicale Elise tentera carrément de renaître sous le nom d’«Alabama Monroe» (hommage à Bill Monroe, fondateur du style bluegrass). Bref, tout ceci ne saurait finir que… sur une chanson.

Ancrage culturel oblige, The Broken Circle renoue autant avec le fameux Turkish Delight (Turks fruit, 1973) de Paul Verhoeven – sorte de réponse rock’n’roll à Love Story – qu’il rappelle la belle vitalité du récent La Guerre est finie de Valérie Donzelli, autre histoire d’enfant atteint d’un cancer. D’un côté, son télescopage entre passé, présent et futur ne fait que plus fortement apparaître l’idée de destinée tragique. Mais de l’autre, il empêche le mélodrame de devenir trop plombé – le principal écueil du genre.

On sort de là essoré, mais paradoxalement heureux. Manié avec talent, le premier degré a parfois du bon! Et qui eût cru que le bluegrass portait en lui tout le poids et la sagesse du monde?

VVV The Broken Circle – Alabama Monroe (The Broken Circle Breakdown), de Felix Van Groeningen (Belgique/Pays-Bas, 2013) avec Veerle Baetens, Johan Heldenbergh, Nell Cattrysse, Geert Van Rampelberg, Nils De Caster, Robbie Cleiren, Jan Bijvoet, 1h52.

Chronologiquement déconstruit, le film joue la carte du tragique sans jamais devenir trop plombé