Les vies flambeuses d’Olivier Py

Avignon Le directeur du festival signe une épopée toquée jouée par des acteurs sublimes

Toutes les pièces d’Olivier Py sont des lettres ouvertes jetées dans l’écume de nos nuits. Orlando ou l’impatience* est une missive-fleuve, une coulée d’encre et de lave adressée à l’Autre, le spectateur, l’acteur, le père sans nom, Dieu. A la Fabrica, ce complexe tout neuf conçu pour fabriquer formes et fictions, cette comédie épuise – près de quatre heures, entracte compris –, revigore, allume des feux de joie dans les esprits, les éteint, les rallume et ainsi de suite. On en ressort sur les genoux, lesté de mots sublimes, de phrases toquées, bien balancées comme chez Paul Claudel, triviales comme chez Jean-Pierre Mocky, épidermiques comme chez Pasolini. Olivier Py, 48 ans, est cet épistolier qui embrasse jusqu’aux étoiles et laisse des marques de rouge à lèvres sur le papier.

Trop? Mais oui, bien sûr, «trop». Et pourtant ça fuse. Ça commence sur un air de musette, le soufflet d’une fête ancienne qui reprendrait. Au centre d’Orlando, comme toujours chez le directeur du Festival d’Avignon, le théâtre, c’est-à-dire un cube, monté sur roulettes, alliage de bois clair et de néons, avec à ses pieds des chaises et un miroir de loge. Le décorateur Pierre-André Weitz est une forme d’encadreur: il donne un cadre aux transports de son ami, qu’il accompagne depuis longtemps; il suggère qu’il n’y a de splendeur que parce qu’il y a un labeur avoué. L’histoire, c’est celle d’un jeune acteur, Orlando, qui cherche à connaître le nom de son père. Il l’exige de sa mère, «la grande actrice» – Mireille Herbstmeyer, du chien, de l’allure, tout ce qu’on chérit. Elle lui jette à la figure: «Le théâtre est mon seul amour.» Puis lui glisse que le nom du géniteur est écrit sur son miroir depuis trente ans. Un poète exalté, évidemment. Mais ce père est un leurre. D’autres, tout aussi illusoires, suivront.

De quoi nous parle Olivier Py? D’une vie de théâtre, la sienne sans doute, celle d’un doué qui écrit à 20 ans des pièces qu’on distingue, à 30 ans une épopée de 24 heures (La Servante) qui affole Avignon en 1995, qui devient une statue malgré lui, encensée, conspuée, désirée, jusqu’à se retrouver parachuté en 2013 à la tête du plus grand rendez-vous théâtral francophone. Orlando ou l’impatience dit ce qui reste de l’innocence, les petits arrangements avec soi, l’amour du verbe qui ne faiblit pas, qui est l’unique salut, la voie royale vers la «Joie», ce mot qui est un brasier dans l’œuvre de Py. L’auteur et metteur en scène a toujours proclamé son catholicisme et son homosexualité. Il en a fait non pas une cause – même s’il s’engage en faveur du mariage pour tous – mais la matière de ses méditations transfigurées en fictions.

Faut-il s’en étonner? L’amour inspire des scènes merveilleuses de sensualité et de mélancolie. Voyez Matthieu Dessertine dans le rôle-titre, sa pâleur d’archange tenté par le diable, et François Michonneau, son débardeur de ragazzo. Ils s’étreignent sur le lit, à genoux l’un et l’autre. Le piano de Stéphane Leach s’emballe. Dans la bouche d’Orlando, ces mots: «Je crois que je suis né pour quelque chose, et parfois ce sentiment est une douleur atroce, parce que je me sens doué pour rien, je voudrais que ma jeunesse soit finie et que je sache enfin à qui j’appartiens.»

Fable intime, bien sûr. Mais aussi exécution, potache et cinglante, des postures, comme dans Illusions comiques, autre comédie de Py. L’auto-fiction est parfois balzacienne. Le Ministre de la culture (Eddie Chignara) a des pulsions masochistes: il jouit d’être humilité. L’artiste, lui, se gargarise du peuple qu’il faut éduquer. Olivier Py jette dans son alambic les discours qui font l’air du temps, orchestre leurs dialectiques, veille aux chutes. Abus de théâtre? Oui, mais avec un entêtement si admirable qu’il disperse les lassitudes. La distribution a ceci de rare: elle allie la ruse de la jeunesse – Matthieu Dessertine, Laure Calamy, François Michonneau – à la volupté de l’expérience. On s’amuse des poses de Jean-Damien Barbin, génial en professeur de diction fou. On est amoureux à jamais de Mireille Herbstmeyer, de ses perruques, de ses talons, de ses envolées. On est ému par Philippe Girard, magnifique, qui joue tous les pères, «le père exalté», «le père désespéré», «le père recommencé». Voyez-le dans sa robe de chambre couleur de rosée, monté sur les grands chevaux des tragédies d’antan. Lui, c’est Sarah Bernhardt et Jean-Louis Barrault mariés, avec Bourvil comme témoin. Un requiem à lui tout seul. On l’écoute? «Pour moi il n’y avait qu’une seule vraie action, qu’une seule action véritable, et c’était la prière, seulement ce que j’appelais la prière ce n’était pas un état de recueillement et de silence, c’était plutôt une sorte de folie qui me prenait comme une vague.» Orlando ou l’impatience est une prière océanique.

Orlando ou l’impatience, Festival d’Avignon, La Fabrica, jusqu’au 16 juillet; Festival-avignon.com; rens. 0033/490 14 14 14; puis Comédie de Genève, du 23 au 26 avril.*Actes Sud-Papiers

«Je crois que je suis né pour quelque chose, et parfois ce sentiment est une douleur atroce…»