A la Villa Bernasconi, l’art explore l’envers du décor

Exposition Dans «Reverse», les œuvres montrent leur mauvais côté

A l’intérieur de la Villa Bernasconi, à Genève, les deux étages de la maison sont traversés de part en part par un mur en diagonale. Une paroi qui s’est imposée là dans le cadre de l’exposition Reverse. On demande à Jérémy Chevalier ce qui lui a pris de contrarier ainsi la circulation des visiteurs, obligés de se contorsionner pour franchir l’obstacle. «Ça m’est venu une nuit comme ça. Il devait être 5 heures du matin et j’ai eu l’idée de ce mur avec d’un côté une partie plongée dans l’obscurité et l’autre baignée de lumière», explique l’artiste genevois dont la vidéo projetée tout en haut de la maison montre le danseur ­Nicolas Cantillon en pleine répétition.

Outre qu’elle gêne volontairement la circulation, il y a aussi le fait que cette cimaise présente un envers et un endroit, un côté pile tout blanc et un autre face marqué par ses détails de construction. Comme le poster de Pierre Vadi épinglé au mur, qui montre au visiteur son dos bleu d’affiche de base. «Au Centre culturel suisse où il expose en ce moment, il présente la même pièce. Sauf que là-bas elle est posée par terre et à l’endroit, de son côté imprimé qui est uniformément jaune», explique Hélène Mariéthoz, directrice de la Villa Bernasconi.

Manteau en faux python

Reverse, ce sont donc des œuvres dans le mauvais sens ou qui ne remplissent pas leur fonction comme il se doit. «L’exposition veut montrer l’envers du décor, ce qui se trouve caché derrière les choses», continue la curatrice qui a principalement construit son programme autour de deux œuvres. Un manteau en fausse peau de python que Pierre Vadi laisse traîner sur le sol. «Et qui met en valeur la doublure du vêtement et une vidéo de Natacha Lesueur. J’avais pensé à celle consacrée à Carmen Miranda, la star hollywoodienne des années 50 qui représentait alors l’archétype de l’exotisme latino. A la place, Natacha m’a proposé un film avec cette vahiné qui danse le upa upa.»

Sur l’écran, une femme en pagne de paille et soutien-gorge noix de coco se déhanche sous des flashs stroboscopiques, mais sans tout le bazar décoratif qui plaît aux touristes. «J’ai découvert là-bas que la danse avait été interdite par les missionnaires», explique l’artiste française. «Les mouvements étaient jugés trop lascifs, trop tentants pour les mœurs occidentales. Aujour­d’hui elle est redevenue un élément essentiel de la culture polynésienne, une forme de langage en soi.» «Pour moi, cette vidéo représente les fausses réalités qui appartiennent à notre imaginaire collectif», reprend Hélène Mariéthoz. «Sur son fond noir, cette danseuse casse le mythe d’un éden des îles où la supposée sexualité facile va pendant longtemps enflammer l’imaginaire des Européens.»

Tubes qui hoquettent

Montrer les faux-semblants, prendre des extraits de tube de clubbing des années 90 pour en faire une installation sonore qui hoquette. Ou, comme dans la pièce de Delphine Reist, faire en sorte que surgissent de micros de discours officiels des cotillons de Nouvel An.

Derrière son mur de biais, caché dans une niche, Jérémy Chevalier a posé la maquette d’une black box de théâtre. Les petites lumières falotes laissent deviner un énorme trou percé au milieu de la scène. «Un peu comme lorsqu’un piano passe au travers du plancher dans les dessins animés de Tex Avery», interprète Hélène Mariéthoz. Le cartoon comme une métaphore où tout est possible mais où rien n’est réel. Le monde à l’envers.

Reverse , Villa Bernasconi, Genève, jusqu’au 14 avril, rte du Grand-Lancy 8, 022 794 73 03, www.villabernasconi.ch