Publicité

Walser, maître et serviteur

Romancier et laquais. Comment l’auteur suisse le plus singulièrement génial, reconnu comme l’un des grands écrivains de langue allemande du XXe siècle, a-t-il pu connaître une vie en apparence si médiocre? Pas une vie d’artiste maudit, pas la pauvreté romantique de la bohème, non, mais une vie triste, insignifiante et solitaire.

Robert Walser est né à Bienne en 1878. Après avoir quitté l’école à l’âge de 14 ans et effectué un apprentissage dans une banque, le jeune homme, qui commence à publier des poèmes et de courtes proses, entame une vie d’errance entre la Suisse et l’Allemagne. Il sera quelque temps factotum auprès d’un ingénieur zurichois, suit des cours dans une école de domestiques qui lui inspirera celle que fréquente son héros Jakob von Gunten dans son roman, L’Institut Benjamenta, puis travaille comme employé de maison auprès d’une famille noble en Haute-Silésie. Walser s’installe ensuite à Berlin chez son frère, le peintre Karl Walser. C’est là que commencera sa vie d’écrivain et qu’il connaîtra un début de reconnaissance. Il y fréquente les milieux artistiques et ses principaux romans, Les Enfants Tanner, Le Commis et L’Institut Benjamenta, publiés entre 1907 et 1909, suscitent l’admiration des plus grands auteurs de l’époque comme Robert Musil, Franz Kafka ou Walter Benjamin. Mais Walser rentre à Bienne en 1913 et choisit de vivre en marge de la vie littéraire, voire de la vie tout court, tout en continuant de publier quelques recueils de textes en prose. Ecrivain magistral, il s’est ainsi appliqué à vivre une vie minuscule.

Interné pour troubles psychiatriques en 1929, il passera les vingt-cinq dernières années de sa vie dans une clinique. L’écrivain semble trouver un confort psychique dans cette existence sans surprise, protégée du monde et se plie avec beaucoup d’application aux règles de l’asile. Son écriture elle-même se fait microscopique, incompréhensible: des «microgrammes», tracés avec minutie, écrits dans un langage crypté, fait d’abréviations et que l’auteur appellera «le territoire du crayon».

Walser fait partie de ces écrivains qui donnent particulièrement tort à cette conception de la littérature qui voudrait qu’une œuvre soit abordée indépendamment de la vie de son auteur.

Chez lui, le héros est souvent serviteur et heureux de l’être, comme Jakob von Gunten, dans L’Institut Benjamenta, qui désire «être insignifiant et le rester» et déclare: «Ce que je sais c’est que je serai plus tard un ravissant zéro tout rond.»

La vie et l’œuvre de Walser s’inscrivent dans cette dialectique entre grandeur et humilité, dans une forme d’orgueil immense que constitue cette volonté de se faire petit, jusqu’à l’oubli de soi, une façon, selon l’écrivain Claudio Magris, de «se chosifier pour échapper au pouvoir», une soumission aux règles qui s’apparente à un refus absolu.

Tout l’été, Le Temps remonte les chemins tortueux qui ont aidé certains des plus grands artistes à trouver leur voie.