«La vérité», enfin? Lundi soir, la TSR diffusera le dernier épisode de la série X-Files (Aux frontières du réel), un double volet intitulé The Truth (La Vérité). Les producteurs ont en effet annoncé que le show est fini. Diffusé pour la première fois aux Etats-Unis sur le réseau Fox en septembre 1993, X-Files raconte les tribulations de Fox Mulder et Dana Scully, enquêteurs du FBI pour le «service des affaires non classées». Mulder a ceci de particulier que, tout agent de la police fédérale américaine qu'il est, il pense que sa sœur a été enlevée par des extraterrestres et se montre convaincu que le gouvernement cache l'existence de créatures avec qui il est entré en contact, voire plus, car affinités (lire TéléTemps du 26 octobre).
Objet télévisuel non identifié à ses origines, cette série a conquis la planète pour des raisons difficiles à saisir, tant elle semble enracinée dans un terreau américain. Son ultime épisode décevra sans doute les amateurs, mais le fait restera: avec ses neuf saisons et ses 202 épisodes, X-Files entre déjà dans l'histoire de la culture populaire.
«J'ai besoin de savoir»
Né en même temps que l'Internet populaire – le Web est mis au point en 1992 –, X-Files est la première série TV à avoir grandi avec la Toile. Les sites d'amateurs ont pullulé, il s'en crée encore, et les scénaristes ont vite rencontré leurs fans par le biais du réseau, écoutant leurs doléances et prenant un malin plaisir à déjouer leurs attentes. Au demeurant, la trajectoire de la série a précédé de peu celle du NASDAQ. L'audience atteint son point culminant avec la saison 5 (1997-1998). Moins de deux ans plus tard, la capitalisation des sociétés de high-tech s'effrite. X-Files, dont un seul épisode coûte l'équivalent d'un long métrage français moyen et d'au moins deux films suisses, a été à la TV ce que la Nouvelle Economie fut au business, une flambée d'idées et d'argent, ou un mirage génial.
«Ne faites confiance à personne»
D'entrée de jeu, les créateurs ont dévoilé leurs intentions: un vaste recyclage de l'immense corpus social – et politique, en filigrane – né de la controverse sur les soucoupes volantes depuis 1947, année des premières «observations». Avec ce talent particulier des Américains à détourner leur propre histoire par la fiction, les auteurs ont exploré toutes les facettes de cette période, au point que de nombreux épisodes constituent des paraphrases des hauts faits de l'ufologie. Toutes les données «historiques» y passent: le crash d'un ovni à Roswell, que l'armée américaine aurait caché; l'apparence des extraterrestres (corps ramassé et tête surdimensionnée aux yeux ovales); le complot mondial entretenu par la Maison-Blanche et l'ONU; la création d'hybrides; une cinquième colonne extraterrestre… La série comporte certes de nombreux épisodes autonomes, mais au fil du temps, son cœur conspirationniste – que les amateurs nomment «la mythologie» – acquiert une place centrale.
«Tuer la vérité pour que personne ne la cherche»
Pour le sociologue Pierre Lagrange, spécialisé dans l'étude des rapports entre scientifiques et parasciences (La Rumeur de Roswell, éd. La Découverte), «cette série a joué un formidable rôle en popularisant la thématique soucoupique, en l'introduisant au sein de la culture générale. Elle prend place dans un ensemble de films et d'œuvres populaires comme Rencontres du 3e type (qui a été le premier film à introduire la rhétorique soucoupique au sein de la culture – les films des années 50 étaient d'un tout autre genre), MIB et quelques autres. Ces thèmes ufologiques, le discours qui les accompagne, qui ont longtemps été très marginaux, sont devenus aujourd'hui des thèmes et discours de référence au sein de notre culture. On parle conspiration, Roswell, soucoupes comme on parle de politique.»
Les X-Files débarquent sur le petit écran à l'aube de l'ère Clinton. En tenant compte des temps de production, cette série sera donc née au terme de l'ère Bush Senior et s'achève sous Bush Jr. Piquant hasard historique. X-Files, série visionnaire ou expression des soubresauts de son temps? Les orientations de l'administration Bush post-11 septembre renforceront les partisans de la première option. Bien auparavant, les auteurs n'avaient d'ailleurs pas manqué de multiplier les clins d'œil, abordant le syndrome de la guerre du Golfe ou les tensions avec l'Irak – dans le ciel duquel se promènent bien sûr des ovnis, qui ont toutefois le bon goût de se crasher sur le sol de l'allié turc.
«Je veux croire»
En Suisse romande, la popularité de la série a suivi l'évolution générale: le haut de la courbe a été atteint en 1996, quand 95 000 foyers suivaient le feuilleton. La sixième saison, en 1999, avait encore une audience confortable (71 000 en moyenne), puis le grand public s'est détourné. Au sommet de sa popularité, la série a fortement divisé les opinions. Les intellectuels québécois ont posé les termes du débat: X-Files est-il de droite ou de gauche? Son arrière-fond idéologique – méfiance viscérale envers l'Etat, croisade du citoyen isolé – renvoie à un certain anarchisme de droite propre aux milieux d'où émanent les créateurs de ce programme. D'autres, au contraire, y ont vu une critique en règle de la militarisation des autorités et de la société américaines. En France, Le Monde diplomatique a porté sa critique sur ce «retour de la croyance à l'irrationnel».
X-Files, héraut de la crédulité populaire la plus crasse: voici une série qui s'est retrouvée sur le même banc des accusés que les amateurs de soucoupes dont elle imite les outrances, ce qui n'est pas le moindre paradoxe. Nul besoin de pouvoirs paranormaux pour deviner qu'il va constituer une licence lucrative. Dans 10 ou 15 ans, nombreux sont ceux qui s'y délecteront à nouveau, toujours en quête de «la vérité».
X-Files: La Vérité, TSR1, lundi 28 octobre, 23h40.