Double exposition des peintures et fusains de Yan Pei-Ming. Bel exploit, d'ailleurs, que de pousser deux galeries – Art & Public, de Pierre Hubert, et la Galerie Charlotte Moser – à s'accorder pour présenter le même artiste. Mais à cheval sur deux cultures – la chinoise et l'occidentale – c'était tout à fait dans les aptitudes de Yang Pei-Ming. Ce Chinois affable a su séduire les grands commissaires d'expositions et se faire connaître en conciliant réalisme (socialiste) et peinture plus expressive.

Yan Pei-Ming ne craint pas les grands formats. Se colleter avec la démesure est sa façon de prendre à revers la notion de «propre en ordre» – selon ses termes – des fresques murales à l'honneur en République populaire. Pei-Ming a pratiquées très jeune; il recevait à 15 ans sa première commande du genre pour une usine. Né en 1960 à Shangai, il était entré de bonne heure à l'Académie d'art. Une astreinte au métier et à la discipline qui explique pour une bonne part sa virtuosité actuelle.

Qu'on utilise le terme d'«expressionniste» pour qualifier son style déplaît fortement à Pei-Ming. Lui-même le définit davantage par la gestualité et l'énergie qu'il implique. Ceux qui l'ont vu peindre rapportent en effet que lorsqu'il entre en action, c'est à une véritable prise à partie du sujet, à un violent combat contre la toile que Yan Pei-Ming se livre. Car le portrait – qu'il soit imaginaire ou de commande – est une traque. Elle consiste à scruter des visages, à chercher dans le plus individuel le plus général. «Chaque individu, comme le dit Pei-Ming, est une partie de la mémoire de l'Homme.» Il y a du reste une sorte d'uniformité des apparences dans ses portraits. Même si chaque individu est bien spécifique et nous offre ses traits dans toute leur fascination.

Double envoûtement: du sujet et de l'art qui le rend. Avec Mao d'abord, la figure emblématique dont s'est servi le peintre pour se faire connaître, et qui lui sert maintenant de paramètre pour ne pas perdre de vue ce qu'est une image. Les anonymes ensuite, et les commanditaires, qui lui permettent surtout d'exprimer le pictural. Dans le domaine des effets obtenus par le traitement de la matière, Yang Pei-Ming est époustouflant. Par le fait qu'il n'emploie que le noir et le blanc – hormis le rouge, pour Mao – mais les mélanges en de si subtils dosages et avec une telle fougue, qu'il agit en véritable coloriste. Par l'autre fait qu'il n'emploie que de très grosses brosses plates mais par tous leurs côtés: plat, fil, manche. Des instruments qui virevoltent au bout d'un poignet d'une extrême mobilité, comme seuls en possèdent les calligraphes orientaux. Qui ne se mettent en branle qu'après une très forte concentration, comme si le tableau était mentalement tracé avant même qu'il soit esquissé.

Ne reste plus alors au spectateur qu'à se balader dans ses visages comme dans des paysages. Afin d'y découvrir sous l'homme visible – l'homme invisible. D'y déceler cette sorte de spiritualité humaine, cette puissance de l'humain, qui laisse des traces plus ou moins belles, plus ou moins bonnes, sur toutes choses. Même dans ces vastes espaces naturels et désertiques – de véritables peintures de paysages, cette fois-ci – que Pei-Ming nous abandonne comme des toiles méditatives où se projeter soi-même.

Yan Pei-Ming. Visible Man – Invisible Man. Galerie Charlotte Moser (rue de l'Hôtel-de-Ville 16, tél. 022/312 14 14). Ma-ve 15-18 h 30, sa 11-17 h. Et Art & Public (rue des Bains 35, tél. 022/781 46 66). Ma-ve14 h 30-18 h 30, sa 12-17 h. Jusqu'au 18 octobre.