Humour
Celui qu’on connaît pour ses chroniques désopilantes sur Couleur 3 se produit pour la première fois sur les planches. Son spectacle, qui explore l’absurdité de la condition humaine, fait mouche. En tournée romande jusqu’en février prochain

Avant le Big Bang, il y a 13 milliards d’années, l’Univers avait la taille d’une vulgaire tête d’épingle. Enfin, c’est ce qu’affirment les scientifiques. Parce que Yann Marguet, lui, ça le laisse sceptique. Ça lui retourne le cerveau, même. Mais d’où a-t-on débarqué? Et pourquoi s’éternise-t-on dans ce coin-ci de la galaxie? L’absurdité de la vie humaine, l’humoriste vaudois l’examine au microscope – et au vitriol – dans son premier spectacle sur scène, Exister, définition, dès maintenant au Théâtre Boulimie de Lausanne.
Une référence évidente à sa chronique à succès, Les Orties sur Couleur 3, dans laquelle Yann Marguet s’amusait à définir un concept ou un détail du quotidien, de l’identité suisse à la Saint-Valentin. Entamée en 2016, cette capsule hebdomadaire, largement relayée sur les réseaux sociaux, l’aura révélé au public romand. Qui s’est attaché à ce personnage nonchalant, à l’accent vaudois à couper au couteau et à la barbe de hipster.
Et qui était avide de découvrir le farceur des ondes en chair et en os. Dès l’annonce de son spectacle en novembre dernier, qui coïncidait avec la fin des Orties, les billets se sont arrachés: sur la cinquantaine de dates que compte sa grande tournée romande, programmée jusqu’en février 2020, la plupart affichent aujourd’hui complet.
Epiphanie nocturne
Si on peut imaginer la pression qu’implique un pareil baptême de scène, sur celle du Théâtre Boulimie et devant une salle comble, rien ne transparaît. Yann Marguet débarque avec son sweat-shirt et sa bonhomie habituelle, cet air je-m’en-foutiste et ce bagout familier qui le caractérise. Pourtant, le sujet du jour est loin d’être anecdotique, et on le comprend vite, inspiré d’une angoisse toute personnelle. Comme un pote qui nous aurait invités à disserter sur le sens de la vie après une soirée arrosée, l’humoriste, installé dans son fauteuil en cuir, commence par raconter l’épiphanie: celle qu’il a connue une nuit, dans son petit lit de Sainte-Croix, en comprenant que le monde ne se résumait pas à sa maman et aux tortues ninjas. Sueurs froides.
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Ce mélange entre vertige et légèreté fait tout le charme d’Exister, définition. Qui déroule ou plutôt, tente de démêler pendant près d’une heure et demie le fil de notre condition humaine et ses mystères. De l’obscur jargon des astrophysiciens aux non moins nébuleuses croyances chrétiennes, en passant par les affres de la survie au Moyen Age – où il y avait «tellement d’occasions de crever» – les digressions sont nombreuses, presque jamais longuettes. Des anecdotes et observations plutôt simples, mais qui font mouche. Et on rit de s’y reconnaître. Car qui, comme Yann Marguet, ne s’est jamais senti à la fois unique et profondément insignifiant dans le gouffre qu’est l’Univers?
Catéchisme obligatoire
D’autant que l’humoriste est un conteur hors pair. Quand il ne donne pas la réplique à une mystérieuse voix venue du ciel – qui se révèle être celle de l’interprète officiel de Morgan Freeman en version française, excusez du peu – une cigarette au bec, il occupe l’espace rien qu’en déambulant ou en s’accompagnant d’un gramophone dont les vinyles, habilement choisis, placent le décor. Mieux encore, lorsqu’il empoigne sa guitare pour gratter quelques accords tout droit sortis d’un cours de catéchisme obligatoire, on jubile.
Yann Marguet aime raconter les petits rien qui font le sel de la vie, et il le fait bien. Les sujets qui piquent, aussi, comme la pression de devenir parent pour «perpétuer l’espèce», ou sa propre extinction, justement – il ne pouvait pas y couper. Mourir, c’est désagréable, mais c’est pas méchant, mais c’est désagréable, comme il dirait lui-même. L’occasion d’une dernière introspection, un peu vite expédiée mais qui voit le cynisme laisser place à une sincérité saisissante. Difficile de conclure un spectacle sur l’existence, on en convient. L’humoriste s’en sort comme il a commencé, entre farce philosophique et pied de nez à l’immensité.
En 2016, Yann Marguet nous confiait sa crainte de monter sur scène, par peur de précipiter les choses ou de trop «presser le citron» de son succès. Entre-temps, il a lancé une chronique débridée sur la sexualité – toujours sur Couleur 3 – et osé franchir les portes du théâtre. Ce n’est pas grand-chose sur l’échelle du cosmos, mais nous, on s’en réjouit.
Exister, définition. En tournée romande jusqu’en février 2020. http://yannmarguet.ch