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Youssef Chahine signe «Silence… on tourne», comédie où la fiction vole au secours de la vie

Après une série de films graves et engagés, le réalisateur égyptien s'amuse à mélanger réalité et invention pure dans un badinage réjouissant. Une belle verdeur qui sort aux premiers jours de ses 76 ans. Le film, à la lisière de la comédie musicale orientale, marque l'entrée en cinéma de la vedette tunisienne de la chanson, Latifa. Le tout pourune culture arabe en joie, telle qu'elle pouvait l'être avant le 11 septembre.

Vendredi dernier, Youssef Chahine, le plus célèbre cinéaste égyptien, a fêté ses 76 ans. Dont 50 de cinéma selon un mode de création où la fantaisie et l'humour se doublent toujours d'un profond engagement politique. Ainsi son 34e film de fiction, Silence… on tourne, qui se présente comme une pure comédie, est accompagné dans son dossier de presse d'une note d'intention signée par le cinéaste. «Je voudrais rappeler aux créateurs, comme aussi aux politiciens, qu'une fois une décision prise, il faut savoir… pouvoir aller jusqu'au bout. L'hésitation ne peut mener qu'à l'échec.»

Par les temps qui courent, la leçon comporte de multiples niveaux de lecture: encouragement à l'adresse de ses collègues italiens malmenés par les décisions à l'emporte-pièce du gouvernement Berlusconi; défense d'une voix minoritaire, et arabe, dans le cinéma et surtout le désordre mondiaux; volonté féroce de continuer à faire des films «contre» un système ou un gouvernement; croyance profonde, presque infantile, en l'instinct; argument à présenter aux élus suisses lors de leur prochaine session sur l'aide au cinéma. Autant de directions fondamentales qui pourraient aboutir sur un cinéma de la sinistrose. Or non. Comme Eric Rohmer, Manoel de Oliveira ou Jacques Rivette l'an dernier, autres aînés de la création mondiale dont Chahine partage la verdeur et les privilèges de l'âge, l'humeur est plutôt à la joie.

Du moins l'humeur de son dernier film, Silence… on tourne. Dans une série d'œuvres graves (L'Emigré, Le Destin ou L'Autre), Chahine avait abordé, ces dernières années, l'intégrisme, le terrorisme et les conséquences de la mondialisation. Et voilà que l'année qui restera comme celle du 11 septembre, il filme une comédie débridée comme il n'en a plus osé depuis plus d'une décennie. La coïncidence l'a bien sûr perturbé, mais elle a surtout confirmé son goût du désordre, ainsi qu'il le confiait volontiers à la sortie du film en France: «Je suis pagaille. Je vais vous donner un exemple. Lorsque je pense aux événements du 11 septembre, c'est une déchirure terrible pour moi, je suis anéanti et, la minute suivante, je peux écouter un disque d'Aznavour et me mettre à chanter «La Mamma». L'essentiel à mon âge, ce n'est plus d'essayer d'être un type bien. C'est d'exprimer au plus près ma propre vérité.»

Laquelle est-elle, cette vérité du nouveau millénaire chez l'Egyptien Chahine? Elle est badine. Comme son film. Et comme son héroïne Malak, incarnée par la chanteuse tunisienne Latifa, véritable star au Moyen-Orient qui joue ici la comédie pour la première fois. Elle joue donc Malak, une cantatrice et actrice à succès, fille spirituelle d'Oum Khalsoum, mais qui regrette de voir son mari s'éloigner. Seule au faîte de la gloire, elle cherche quelqu'un qui l'aimerait pour elle-même.

Cheveux teints et raie au milieu, Lamei (Ahmed Wafik), jeune arriviste qui vit chez ses parents, a repéré la faille de Malak. Il vient de séduire une princesse, et la chanteuse lui semble être la parfaite proie suivante. De fait, Malak craque après deux œillades du bellâtre, qui se fait passer pour docteur alors qu'il n'est que menteur. Malgré la méfiance de ses conseillers, elle l'emmène partout. Sur les plateaux de cinéma et sur les scènes où elle le fait jouer et chanter. Seul un retournement de situation jubilatoire vient interrompre l'ascension du grossier manant: un scénariste ami de Malak imagine une machination qui devrait faire apparaître la vérité. La mise en scène, l'imagination, la fiction et un happy end en chanson au service de la vie et de la lucidité.

Chahine alterne donc les rythmes et les enjeux. Si bien que, à y regarder de plus près, Silence… on tourne n'est pas uniquement le badinage simplissime et coloré qu'il semble être. «J'ai décidé de réaliser Silence… on tourne, dit Youssef Chahine, pour représenter le héros masculin qui est pour moi malheureusement très représentatif d'une nouvelle génération d'hommes en Orient. Le système merdique dans lequel nous vivons, qui ne cherche qu'à enrichir les riches et à étouffer les classes moyennes, a fini par créer un type d'être humain très répandu aujourd'hui, l'arriviste. Cette attitude est évidemment encouragée par des modèles qui entretiennent la corruption à tous les niveaux.»

Silence… on tourne, de Youssef Chahine (France, Egypte, 2001), avec Latifa, Ahmed Bédeir, Ahmed Wafik.