Du moins l'humeur de son dernier film, Silence… on tourne. Dans une série d'œuvres graves (L'Emigré, Le Destin ou L'Autre), Chahine avait abordé, ces dernières années, l'intégrisme, le terrorisme et les conséquences de la mondialisation. Et voilà que l'année qui restera comme celle du 11 septembre, il filme une comédie débridée comme il n'en a plus osé depuis plus d'une décennie. La coïncidence l'a bien sûr perturbé, mais elle a surtout confirmé son goût du désordre, ainsi qu'il le confiait volontiers à la sortie du film en France: «Je suis pagaille. Je vais vous donner un exemple. Lorsque je pense aux événements du 11 septembre, c'est une déchirure terrible pour moi, je suis anéanti et, la minute suivante, je peux écouter un disque d'Aznavour et me mettre à chanter «La Mamma». L'essentiel à mon âge, ce n'est plus d'essayer d'être un type bien. C'est d'exprimer au plus près ma propre vérité.»
Laquelle est-elle, cette vérité du nouveau millénaire chez l'Egyptien Chahine? Elle est badine. Comme son film. Et comme son héroïne Malak, incarnée par la chanteuse tunisienne Latifa, véritable star au Moyen-Orient qui joue ici la comédie pour la première fois. Elle joue donc Malak, une cantatrice et actrice à succès, fille spirituelle d'Oum Khalsoum, mais qui regrette de voir son mari s'éloigner. Seule au faîte de la gloire, elle cherche quelqu'un qui l'aimerait pour elle-même.
Cheveux teints et raie au milieu, Lamei (Ahmed Wafik), jeune arriviste qui vit chez ses parents, a repéré la faille de Malak. Il vient de séduire une princesse, et la chanteuse lui semble être la parfaite proie suivante. De fait, Malak craque après deux œillades du bellâtre, qui se fait passer pour docteur alors qu'il n'est que menteur. Malgré la méfiance de ses conseillers, elle l'emmène partout. Sur les plateaux de cinéma et sur les scènes où elle le fait jouer et chanter. Seul un retournement de situation jubilatoire vient interrompre l'ascension du grossier manant: un scénariste ami de Malak imagine une machination qui devrait faire apparaître la vérité. La mise en scène, l'imagination, la fiction et un happy end en chanson au service de la vie et de la lucidité.
Chahine alterne donc les rythmes et les enjeux. Si bien que, à y regarder de plus près, Silence… on tourne n'est pas uniquement le badinage simplissime et coloré qu'il semble être. «J'ai décidé de réaliser Silence… on tourne, dit Youssef Chahine, pour représenter le héros masculin qui est pour moi malheureusement très représentatif d'une nouvelle génération d'hommes en Orient. Le système merdique dans lequel nous vivons, qui ne cherche qu'à enrichir les riches et à étouffer les classes moyennes, a fini par créer un type d'être humain très répandu aujourd'hui, l'arriviste. Cette attitude est évidemment encouragée par des modèles qui entretiennent la corruption à tous les niveaux.»
Silence… on tourne, de Youssef Chahine (France, Egypte, 2001), avec Latifa, Ahmed Bédeir, Ahmed Wafik.