«Zelda», un jeu vidéo maître en son royaume
Phénomène
AbonnéSouvent confondu avec la princesse qu’il sauve, le héros au bonnet vert Link revient dans un nouveau jeu vidéo «Legend of Zelda: Tears of the Kingdom», le vingtième de la série. En 35 ans d’existence, la licence du japonais Nintendo ne cesse de gagner en popularité

Après six ans d’attente, Link effectue son grand retour. Le nom ne vous dit rien? Celui de Zelda vous parlera peut-être plus. Depuis l’incroyable succès de Legend of Zelda: Breath of the Wild, les millions de fans de la saga vidéoludique attendaient un nouvel opus. Ce vendredi 12 mai est sorti, Legend of Zelda: Tears of the Kingdom, un des jeux vidéo les plus attendus de l’année.
Le personnage tout de vert vêtu et coiffé d’un bonnet pointu, qui arpente le royaume d’Hyrule armé d’une épée et d’un bouclier se prénomme bel et bien Link. Zelda, c’est le nom de la princesse héritière de ce pays imaginaire, qui vient parfois épauler le héros incarné par les joueurs. Ce nouvel épisode est le vingtième (sans compter les titres dérivés) de la série à succès de l’éditeur japonais Nintendo. Avec plus de 35 ans au compteur, Zelda est une des rares séries vidéoludiques à pouvoir se vanter d’une telle longévité.
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Mais la licence ne fait pas que durer, depuis la sortie du premier jeu en 1986 elle a même réussi à gagner en popularité. Publié en 2017, le dernier jeu, Breath of the Wild, cumule plus de 31 millions d’exemplaires vendus. Bien plus que ses prédécesseurs. «Très clairement, le jeu a explosé tous les records de vente de la série Zelda. Cela prouve que Nintendo a non seulement réussi à conserver le public de base, mais aussi à récupérer des joueurs qui avaient abandonné la licence en cours de route, et surtout à séduire une génération de nouveaux joueurs», analyse Florent Gorges, spécialiste des jeux vidéo et auteur de L’Histoire de Nintendo. Un succès que l’entreprise japonaise espère renouveler avec ce nouveau jeu.
Campagne japonaise avec une dose de féerie
Derrière cette saga, on retrouve une fois de plus Shigeru Miyamoto. Un nom qui n’est pas inconnu des amateurs de jeux vidéo. Six ans avant Zelda, c’est lui qui imagine le personnage de Mario, le petit plombier moustachu, et en fait le héros de son propre jeu en 1983. Pour le personnage de Link, celui qui occupe actuellement le poste de responsable créatif chez Nintendo reprend certains éléments qui ont fait le succès de Super Mario. Il faut que le héros de ce nouveau jeu soit reconnaissable malgré les quelques pixels qui le constituent. Dans une interview au média spécialisé Gamekult en 2012, le créateur explique comme le personnage est né du croisement d’un elfe et de Peter Pan, dont il reprendra l’habit vert.
Avec The Legend of Zelda, Shigeru Miyamoto souhaite aussi introduire une nouvelle dimension de jeu. Alors que Mario se déplace toujours dans une même direction, imposée par le jeu, il imagine un monde plus ouvert que le joueur pourra explorer à sa guise. Les paysages lui sont inspirés par ses souvenirs d’enfance dans la campagne japonaise. «Quand j’avais 6-7 ans et que je jouais aux premiers jeux, j’avais une impression de mondes infinis», se remémore Yannick Rochat, professeur assistant en études vidéoludiques à l’Université de Lausanne et cofondateur du GameLab de l’Unil-EPFL.
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Cette notion d’aventure et d’exploration dans un univers libre et féerique sera la constante des jeux Zelda, jusqu’à atteindre son paroxysme avec Breath of the Wild. Le premier titre pose aussi les principes de bases de la série: Link doit sauver la princesse Zelda et/ou le royaume d’Hyrule de l’emprise de Ganon. Cette structure et ces personnages reviendront dans chacun des titres de la série par la suite.
La grenouille et la princesse
Avec le temps, ce gimmick de princesse en détresse sauvée par le valeureux Link, même s’il n’est pas l’enjeu de tous les jeux, aurait pu s’essouffler. En 2012, un père de famille décide d’inverser les rôles dans une version «corrigée» par ses soins (un patch, selon le jargon du milieu) de The Legend Of Zelda: The Wind Waker, sorti en 2003. Dans ce jeu revisité pour sa fille, Zelda se mue en courageuse libératrice tandis que Link est sous la coupe du méchant. «Je refuse que ma fille grandisse en pensant que les filles ne peuvent pas être des héroïnes et sauver leurs petits frères», expliquait-il sur son blog.
La figure du chevalier servant aurait pu devenir le talon d’Achille de la franchise. Pourtant, onze ans après la tentative médiatisée de ce père, la popularité de la licence reste intacte. «La saga arrive à suivre les changements sociétaux, estime Loïse Bilat, spécialiste des représentations sociales dans le jeu vidéo et membre du GameLab. Dès le premier opus, il existe une fluidité par rapport à la question du genre des personnages. Link installe un trouble avec ses attributs elfiques, sa capacité à contourner les ennemis. Il n’incarne pas l’héroïcité avec des signes de masculinité traditionnelle, ce qui est extrêmement novateur à la fin des années 1980.» Signe de cette fluidité, le protagoniste Link doit, dans l’avant-dernier opus, se travestir pour tromper la vigilance des gardes dans une cité réservée aux femmes.
Et que fait Zelda au moment où son protecteur accomplit des actes héroïques? La princesse est en réalité loin d’être passive. Par la force de ses pouvoirs, elle scelle Ganon dans le château d’Hyrule et se montre directive avec Link dans sa quête, qui ne peut aboutir sans elle. Zelda vient plus souvent aider le héros que l’inverse dans la plupart des jeux. Dans une scène de Breath of the Wild, avant-dernier opus de la saga, Zelda tend une grenouille à Link. Elle lui apprend que la consommation de l’amphibien pourrait augmenter ses capacités avant de lui demander de faire «Aaah» pour qu’il gobe l’animal magique. Comme un pied de nez au conte de la grenouille qui se transforme en prince charmant après un romantique baiser. «La saga s’amuse avec nos attentes et représentations des personnages», sourit Loïse Bilat.
Coups d’épée dans le salon
Autour de son thème de base, Link qui sauve Zelda et le royaume d’Hyrule, les développeurs des jeux de la série ont aussi su proposer de nombreuses variations d’histoires et de gameplay [jouabilité, terme qui désigne la manière dont on joue au jeu] renouvelant la saga. Dans Ocarina of Time (1998), un des épisodes les plus appréciés de la licence, Link voyage dans le temps et le joueur doit prendre en compte l’alternance du jour et de la nuit pour déclencher certaines interactions, «une mécanique rare pour l’époque», rappelle Yannick Rochat. The Minish Cap (2004), demande au joueur de passer de la taille humaine à celle d’un Minish, une population minuscule introduite dans cet épisode, pour avancer dans le jeu. Quant à l’opus sorti cette semaine, il promet de laisser libre cours à la créativité des joueurs, en leur proposant un système de fabrication d’objets pour les aider dans leur quête.
Mais ces variations reposent aussi sur les développements techniques des consoles du géant japonais. «Sur DS [console portable de Nintendo sortie en 2004] on passait beaucoup de temps à utiliser le stylet et l’écran tactile, il fallait parfois secouer la console ou encore souffler dans le micro, énumère Yannick Rochat. Dans Skyward Sword sur Wii, le joueur utilise des manettes sans fils pour effectuer certaines actions, on a l’impression de vraiment donner des coups d’épée par exemple.»
Cette vision n’est pas propre aux jeux Zelda, mais tient à une certaine philosophie de l’entreprise japonaise, qui historiquement était un fabricant de jouets. «Nintendo conçoit ses consoles de manière différente de ses concurrents. Ils vont d’abord imaginer la manière de jouer et penser à des jeux avant de construire une machine qui va exploiter ces idées», détaille Florent Gorges.
La série de jeux se démarque aussi par le soin apporté à chaque titre, une autre marque de fabrique de Nintendo et du créateur de Zelda. «Là où Nintendo excelle, c’est dans l’art de peaufiner ses jeux jusqu’au bout. Shigeru Miyamoto a toujours dit qu’il préférait qu’un jeu ait un an de retard mais qu’il soit parfait, plutôt que d’avoir des regrets toute sa vie, souligne Florent Gorges. Alors que bien d’autres sociétés ont besoin de faire tourner leur licence et tiennent les délais, quitte à ce que ce soit moins bon.» Il aura fallu attendre six ans entre Breath of the Wild et son successeur. La première date de sortie était prévue pour 2022, mais la firme japonaise n’avait pas hésité à repousser la parution de Tears of the Kingdom au printemps 2023, quitte à jouer avec les nerfs de son public le plus fervent.
Une licence devenue centrale pour le géant japonais
Avec Mario, Zelda est l’une des licences incontournables du géant japonais Nintendo. Avec la sortie de Legend of Zelda: Breath of the Wild, la série a pris une autre dimension. Le dernier épisode s’est écoulé à plus de 31 millions d’exemplaires, un record pour un jeu Zelda, qui lui permet de faire partie des titres les plus vendus de l’histoire de l’industrie.
Au moment de la sortie de cet opus, le deuxième jeu le plus vendu de la série, Ocarina of Times, approchait les 14 millions d’exemplaires écoulés, en comptant la version originale de 1998 et sa réédition en 2010 sur la 3DS, une console plus récente de Nintendo. Les chiffres de vente de la saga sont loin d’être ridicules: avec dix-neuf jeux, elle cumule pas loin de 140 millions d’exemplaires vendus. Mais si la licence était connue des amateurs de jeux vidéo, elle ne touchait pas un public aussi large qu’un Mario, qui comptabilise au total quasiment quatre fois plus de ventes.
L’originalité plutôt que la puissance
Le succès de ses licences est important pour Nintendo, qui produit à la fois des jeux vidéo et des consoles, avec une stratégie imbriquant les deux. Contrairement à ses concurrents Sony et Microsoft, le géant japonais ne mise pas sur la puissance pour vendre ses consoles. Là où les constructeurs respectifs de la Playstation et de la Xbox mettent en avant les capacités techniques et le rendu graphique de leurs engins, Nintendo mise sur l’originalité de la jouabilité de ses produits. D’ailleurs, la sortie de ses consoles est souvent décalée de quelques années par rapport à celle de ces deux autres constructeurs.
L’arrivée de Breath of the Wild correspond à une période difficile pour Nintendo, qui fait face alors à l’échec commercial de la Wii U. Les ventes de cette dernière passent difficilement les 13 millions d’exemplaires. Le jeu est d’ailleurs originellement prévu sur cette console, mais il va surtout servir à accompagner le succès de sa remplaçante, la Switch, avec une sortie simultanée. Avec 125 millions d’exemplaires, elle est devenue la troisième console la plus vendue de l’histoire, derrière la DS et devant la Game Boy, deux appareils de Nintendo. Avec Tears of the Kingdom, le géant japonais espère attirer de nouveaux joueurs et soutenir les ventes de sa Switch qui arrive en fin de carrière.
E.M-V