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Les zigzags artistiques de Gérard Lesne entre jazz, pop et musique ancienne

Le haute-contre français livre ses dernières réflexions avant son concert consacré au baroque italien, ce soir, au Festival Bach de Lausanne

Gérard Lesne aime de toute évidence faire du hors-piste. On aurait pu l'attendre pour un nouveau disque de musique baroque, à la place de quoi il réédite le coup porté une première fois il y a dix ans (il avait alors embrassé le rock le temps d'un album) et surprend le public avec une virée du côté de la musique pop. Cette nouveauté discographique, attendue en février prochain et placée sous l'influence des sonorités de musiciens tels qu'Amon Tobin ou Massive Attack, confirme un parcours fait de zigzags artistiques, dans une carrière qui l'a vu se hisser au sommet des chanteurs de musique baroque. De passage ce soir au Festival Bach de Lausanne, le haute-contre français ne voit pas de mystères à cet éclectisme: «La chance pour un chanteur qui fait de la musique ancienne, c'est d'être comme un caméléon et de savoir s'adapter à chaque type de musique.»

Des changements rapides de pigmentation qui débutent dès l'enfance avec des cours de piano dont Gérard Lesne ne garde qu'un souvenir en demi-teinte. «Ces leçons n'ont pas beaucoup servi par la suite parce que le professeur n'était pas terrible.» Un passage à la guitare, puis, autour des 20 ans, la rencontre décisive avec un des moteurs du renouveau baroque des années 80, le chef d'orchestre René Clemencic, qui découvre en lui un potentiel vocal et lui transmet une technique solide. Puis tout s'enchaîne rapidement, jusqu'à un succès qui lui vaut de se produire au sein des Arts florissants de William Christie, ou de s'épanouir aux côtés de monstres sacrés comme Philippe Herreweghe, Gustav Leonhardt ou à la Chapelle royale et au Collegium vocal. Surfant sur cette vague, et au bénéfice d'une proposition des disques Adda, le chanteur fonde en 1985 un ensemble qu'il baptise Il Seminario musicale et se mesure avec lui aux Cantates de Vivaldi et aux Leçons des Ténèbres de Charpentier, grâce auxquelles il est lauréat des Victoires de la musique en 1993.

Remise en question

Cette ascension fulgurante semble refluer quelques années plus tard. Des doutes le tenaillent depuis que sa voix se met à faire des caprices: «En 1998, j'ai fait Obéron, dans le Songe d'un après-midi d'été de Britten. Un rôle très exigeant et une tessiture difficile pour un contre-ténor. Cela m'a obligé à revoir ma technique du passage entre la poitrine et la tête, car il fallait que ma voix sonne par rapport aux autres chanteurs, notamment Natalie Dessay.» La production révèle des failles techniques autrefois cachées par une prestance juvénile à toute épreuve. «Je suis arrivé à une impasse. J'avais figé mes sensations en voix de tête parce que je montais de plus en plus haut. Je n'arrivais tout simplement plus à descendre dans les graves de la voix de tête. Mon chant était complètement raide.» Cela aurait pu le perdre à jamais, mais le chanteur puise alors dans ses ressources et passe deux ans à rééduquer ses cordes vocales. Le résultat semble le convaincre: «Maintenant plus rien ne représente de difficultés vocales pour moi, ce qui me permet d'aborder avec sérénité des terrains aussi variés que le jazz et la pop.»

Seulement voilà, le paysage musical baroque et son marché autrefois reluisant ont connu aussi des secousses sismiques. Les apparitions discographiques de Gérard Lesne se font rares et se résument, durant ces dernières années, au très réussi album de Purcell O Solitude. Et pour cause. L'instinct explorateur qui l'avait autrefois poussé sur les traces d'opéras rares de Händel ou de compositeurs oubliés (Bononcini, Caldara, etc.) ne rencontre plus le même écho auprès des maisons discographiques. «Je fais partie d'une génération chanceuse. A l'époque, chez EMI, on pouvait faire ce qu'on voulait parce qu'il y avait un public qui achetait nos disques. Aujourd'hui, ce n'est plus le cas: le support CD est moribond et sera supplanté par d'autres techniques. Les grands médias n'accordent plus d'attention à la musique classique. Tout va vers l'aplanissement des goûts, et désormais, on ne joue que du Händel et du Mozart.» Des propos amers, qui amènent le haute-contre à s'inquiéter de l'avenir des jeunes dans la musique ancienne.

Gérard Lesne au Festival Bach de Lausanne. Ce soir à 20h30, à la Basilique Notre-Dame du Valentin. Loc. 0900 552 333.