Remise en question
Cette ascension fulgurante semble refluer quelques années plus tard. Des doutes le tenaillent depuis que sa voix se met à faire des caprices: «En 1998, j'ai fait Obéron, dans le Songe d'un après-midi d'été de Britten. Un rôle très exigeant et une tessiture difficile pour un contre-ténor. Cela m'a obligé à revoir ma technique du passage entre la poitrine et la tête, car il fallait que ma voix sonne par rapport aux autres chanteurs, notamment Natalie Dessay.» La production révèle des failles techniques autrefois cachées par une prestance juvénile à toute épreuve. «Je suis arrivé à une impasse. J'avais figé mes sensations en voix de tête parce que je montais de plus en plus haut. Je n'arrivais tout simplement plus à descendre dans les graves de la voix de tête. Mon chant était complètement raide.» Cela aurait pu le perdre à jamais, mais le chanteur puise alors dans ses ressources et passe deux ans à rééduquer ses cordes vocales. Le résultat semble le convaincre: «Maintenant plus rien ne représente de difficultés vocales pour moi, ce qui me permet d'aborder avec sérénité des terrains aussi variés que le jazz et la pop.»
Seulement voilà, le paysage musical baroque et son marché autrefois reluisant ont connu aussi des secousses sismiques. Les apparitions discographiques de Gérard Lesne se font rares et se résument, durant ces dernières années, au très réussi album de Purcell O Solitude. Et pour cause. L'instinct explorateur qui l'avait autrefois poussé sur les traces d'opéras rares de Händel ou de compositeurs oubliés (Bononcini, Caldara, etc.) ne rencontre plus le même écho auprès des maisons discographiques. «Je fais partie d'une génération chanceuse. A l'époque, chez EMI, on pouvait faire ce qu'on voulait parce qu'il y avait un public qui achetait nos disques. Aujourd'hui, ce n'est plus le cas: le support CD est moribond et sera supplanté par d'autres techniques. Les grands médias n'accordent plus d'attention à la musique classique. Tout va vers l'aplanissement des goûts, et désormais, on ne joue que du Händel et du Mozart.» Des propos amers, qui amènent le haute-contre à s'inquiéter de l'avenir des jeunes dans la musique ancienne.
Gérard Lesne au Festival Bach de Lausanne. Ce soir à 20h30, à la Basilique Notre-Dame du Valentin. Loc. 0900 552 333.