C’est l’histoire d’un podcast qui raconte le silence. La qualité particulière, dans son insoutenable épaisseur, de celui des enfants victimes d’abus sexuels. Plus spécifiquement, d’inceste. Dit comme ça, on serait tenté de tourner la page. Le thème «est trop lourd», «plombant», «pas besoin de ça en ce moment». Quoi de plus naturel? Ce serait, finalement, faire ce que toute notre société faisait jusqu’à très récemment: se détourner du sujet. Comment est-ce possible? Voilà la question que pose ce documentaire en six épisodes d’une grande finesse. Une quarantaine de minutes chacun – et pas une d’ennui ni de pathos.

Dans Ou peut être une nuit, deuxième saison du podcast Injustices de Louie Media, qui s’attaque aux abus structurels, tout commence par «le vide» d’une petite fille. Celui qui prend d’assaut la journaliste et narratrice Charlotte Pudlowski pendant les allers-retours chez ses grands-parents maternels. Pourquoi? D’où vient le fait que tout lui semble, là-bas, si glauque? Invariablement, sur le chemin du retour, elle confie à sa mère: «J’ai mon vide qui revient.» Trente ans plus tard, l’adulte qu’elle est devenue commence à comprendre: «Je crois aujourd’hui que le vide, c’était le silence.» Celui de sa mère, abusée par son père à elle pendant son enfance. «C’est comme ça que j’ai commencé à travailler sur l’inceste. Pour comprendre pourquoi, même dans une famille qui me semblait propice à laisser émerger tous les récits, et malgré notre relation très fusionnelle à ma mère et moi, le silence sur ce sujet gagnait toujours.»

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L’inceste était partout

Un jour d’automne 2017, alors qu’explose #MeToo sur les réseaux sociaux, le frère de la narratrice voit passer sur Facebook un post suggérant aimablement aux hommes – qui semblent tomber des nues face à tous ces témoignages… – de poser simplement la question aux femmes de leur entourage. Et de les écouter. Il demande alors à sa mère si elle a déjà été victime d’abus ou d’agression sexuelle. Celle-ci dit d’abord: «Non.» Puis, simplement: «Oui. Mon père.» «C’est à l’automne 2017 que je fais le lien, reprend la journaliste. Le parallèle entre le silence qui entoure encore l’inceste et celui qui a entouré le viol des femmes adultes jusqu’ici. […] C’est là que je me mets à pressentir que les histoires comme celles de ma mère sont peut-être légion.»

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A l’écoute de ces six épisodes, on réalise à quel point l’inceste était, en filigrane, partout, dans notre culture populaire, dans les livres, les films, les chansons. Considéré à chaque fois, à l’instar d’autres abus, comme un «fait divers». N’est-il pourtant pas systémique, vu l’ampleur des témoignages? Le best-seller de l’autrice Delphine de Vigan, Rien ne s’oppose à la nuit, ne parle-t-il pas de l’inceste subi par sa mère? Et la chanson de Barbara L’Aigle noir, d’où le podcast tire son nom, ne fait-elle pas elle-même référence à l’inceste subie par la chanteuse? «Posez la question autour de vous.»

Au fil des épisodes mêlant récits de victimes «que la fiction n’oserait imaginer», interviews de personnels associatifs et d’experts, la série audio dessine les contours d’un phénomène tentaculaire, et les difficultés à le documenter pour celles et ceux qui tentent de faire émerger cette parole depuis des décennies. Cette guerre contre le silence est néanmoins notre seul salut: «mener les combats est un soulagement». Des voix que le podcast donne à entendre est né un livre du même nom aux Editions Grasset, publié cet automne. Sa lecture, comme l’écoute du podcast, porte l’espoir du point du jour.


Ou peut-être une nuit, deuxième saison du podcast Injustices réalisé par Charlotte Pudlowski et produit par Louie Media.


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