Jean-Hervé Lorenzi est un économiste heureux. En juillet, les Rencontres des économistes d’Aix-en-Provence qu’il organise chaque année ont battu leur record d’affluence, dopées par l’accession d’Emmanuel Macron à l’Elysée. «Il y a bien un effet Macron, explique-t-il. Le fait que les indicateurs de croissance soient très positifs – 1,8% pour 2017, au lieu du 1,6% anticipé – est une partie de l’équation. L’autre, tout aussi importante, est psychologique. La confiance est de retour. Or, la confiance est le carburant de l’économie.»

Cette confiance ne tient pas qu’à l’élection du plus jeune président de la République de l’histoire, qui vient de fêter ses 40 ans le 21 décembre. Elle provient du cumul de trois données: la bonne performance de la zone euro (2,2% en 2017, idem pour 2018 selon la Commission européenne), l’impact des mesures avantageuses pour les entreprises adoptées sous le quinquennat de François Hollande (40 milliards d’allégements fiscaux concédés entre 2014 et 2016 via des programmes tels que le crédit d’impôt pour la compétitivité et la recherche) et la satisfaction des entrepreneurs face aux mesures clés du semestre écoulé. A savoir: la réforme du Code du travail, celle de la fiscalité de l’épargne (via la mise en place d’une «flat tax» de 30%) et l’aménagement de l’impôt sur la fortune, désormais acquitté seulement sur le patrimoine foncier si celui-ci excède 1,3 million d’euros.

«De la chance et de l’audace»

«On pourrait résumer la situation ainsi: en économie comme en politique, Emmanuel Macron a de la chance et de l’audace», avance Philippe Chalmin, coordinateur du rapport annuel Cyclope sur les matières premières. Premier moteur: la bonne santé du secteur privé hexagonal, dominé par les grandes entreprises de l’indice boursier CAC 40, en hausse de 10% sur 2017. Selon l’Institut national de la statistique (Insee), l’indicateur du climat des affaires, constitué à partir des réponses d’un panel de patrons français, est au plus haut depuis six ans. Idem pour les résultats d’entreprises clés comme Renault (29 milliards d’euros de chiffre d’affaires (CA) au premier semestre 2017, pour 1,8 milliard de profits), Orange (30 milliards d’euros de CA sur les neuf premiers mois de 2017, en hausse de 1,5% par rapport à 2016), ou LVMH (20 milliards de CA sur le premier semestre et des bénéfices de 3,6 milliards).

Deuxième moteur: l’anticipation d’une reprise de la consommation des ménages – plus de 53% du PIB – grâce aux exonérations d’impôts dont va bénéficier la classe moyenne en 2018 (suppression de la taxe d’habitation pour plus de 70% des Français propriétaires ou locataires) et via le retour espéré de capitaux délocalisés par les ménages les plus fortunés qui avaient pris le chemin de l’exil fiscal. «On a fait partir plus de 10 000 contribuables et avec eux plus de 35 milliards d’euros de patrimoine. Notre objectif est de les faire revenir», répète le premier ministre Edouard Philippe, issu de la droite et avocat de la théorie du «ruissellement».

L’enjeu des inégalités

Preuve de l’optimisme ambiant, trois institutions ont, sans hésiter, «voté» Macron depuis son élection. En juillet, le Fonds monétaire international a salué les «réformes courageuses et ambitieuses de la France». En septembre, le secrétaire général de l’OCDE, Angel Gurria, a salué «la conviction et la vision» du nouveau gouvernement lors de la sortie de son rapport annuel, très favorable. Fin décembre, l’hebdomadaire The Economist a enfin consacré l’Hexagone «pays de l’année».

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Philippe Chalmin nuance: «Politiquement, l’enjeu du début du quinquennat sera celui des inégalités. Emmanuel Macron doit démontrer qu’il ne sait pas seulement créer de la croissance, mais qu’il sait aussi la distribuer.» Ce dont doute l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE). Selon son dernier rapport, 46% des gains liés aux baisses d’impôts engagées par l’actuel gouvernement iront vers les 10% les plus riches.

«Les baisses de dépenses publiques ne sont pas neutres, explique le directeur de l’OFCE, Xavier Timbeau. La réduction de dépenses sociales (logement, santé…), le recul des services publics, la baisse du nombre d’emplois aidés, tout cela va créer de l’anxiété.» Avec, en ligne de mire pour 2018, deux indicateurs décisifs: le niveau du déficit public, que le président a promis de ramener durablement en dessous des 3% exigés par la zone euro (2,9% en 2017 et une prévision de 2,6% pour 2018), et celui du chômage, toujours supérieur, fin 2017, à celui de l’eurozone (9,5% contre 9,1%).

Emmanuel Macron a demandé un an et demi à deux ans pour infléchir enfin la courbe des demandeurs d’emploi. «Contrairement à François Hollande, Macron ne veut pas être jugé sur le seul niveau du chômage, complète Jean-Hervé Lorenzi. Il vise l’amélioration de l’attractivité, de l’investissement, des profits… et de l’emploi.» Tel un chef d’entreprise…


Commentaire

L’autre inversion des courbes

Emmanuel Macron s’est jusque-là refusé à toute promesse sur la baisse du chômage en France. Une prudence politique alliée à une conviction: les courbes des reconversions professionnelles et de l’auto-entrepreneuriat sont tout aussi importantes que celle des demandeurs d’emploi

On connaît l’obsession d’Emmanuel Macron: éviter tous les pièges qui furent fatals à son prédécesseur, François Hollande, dont les réformes de la seconde moitié de quinquennat portent pourtant leurs fruits aujourd’hui.

Le fait que l’actuel président français refuse de s’engager sur une baisse du chômage – la fameuse «inversion des courbes» promise en vain – doit donc être vu sous un angle très politique. Pas question de se ligoter d’emblée.

Une autre raison explique pareille prudence. Nourri à l’économie numérique et fin connaisseur des circuits financiers, l’ancien banquier Macron est convaincu que la main-d’œuvre hexagonale est aujourd’hui en partie déphasée par rapport aux besoins des entreprises. Les rigidités légales, que ses réformes s’efforcent de desserrer, sont évidemment en cause. Mais pas seulement: inadéquation de la formation, manque de lien entre l’éducation et les entreprises, effets pervers des indemnités de longue durée… Le quadragénaire de l’Elysée utilise à dessein le verbe «transformer» plutôt que «réformer». L’accent mis sur les changements en matière d’éducation le prouve.

Faire entrer davantage de jeunes sur le marché du travail

En résumé, la priorité d’Emmanuel Macron est d’abord de faire entrer davantage de jeunes sur le marché de l’emploi salarié. Pour les autres catégories, ce président-technocrate regarde vers d’autres recettes, comme les reconversions, la mobilité ou l’auto-entrepreneuriat. Son inversion des courbes à lui n’est pas sociale. Elle est générationnelle et géographique. Ce président considère comme moteurs ceux qui l’ont élu: les classes moyennes et supérieures urbaines, et la jeunesse bien formée. C’est injuste, mais clair. A charge pour ces derniers d’assurer l’autre «ruissellement» pour remettre la France sur la voie de la compétitivité mondialisée.