La procédure ouverte pour blanchiment aggravé est classée, mais l’établissement reconnaît ses torts
Quarante millions de francs pour les caisses de l’Etat de Genève, un procureur général fier de souligner que «c’est le montant le plus élevé que la justice genevoise ait obtenu au cours de son histoire» et une banque qui échappe à une condamnation pénale. Comme le résume un proche du dossier, l’accord conclu entre HSBC Private Bank Suisse et le parquet genevois, annoncé jeudi, «satisfait à peu près tout le monde».
Au terme de plus de trois mois d’enquête, le parquet a mis fin à la procédure ouverte le 18 février à l’encontre de la banque, pour «blanchiment d’argent aggravé». En substance et en application de l’article 53 du Code pénal, le Ministère public a classé la procédure, moyennant le remboursement par la banque de 40 millions de francs, en compensation du tort causé. «Un montant calculé en fonction du bénéfice indu réalisé par la banque», a précisé le procureur général, Olivier Jornot, devant la presse.
Le scandale avait éclaté en février, aprèsles révélationsdu Consortium international des journalistes d’investigation et de ses médias partenaires, dont Le Temps, sur la base des données soustraites à la banque par Hervé Falciani, son ex-informaticien. Un système d’évasion fiscale orchestré à Genève, un établissement qui accueillait les fonds de marchands d’armes, de trafiquants ou de parrains supposés du terrorisme: SwissLeaksavait révélé le côté obscur de la filiale genevoise d’HSBC.
Contrairement au Ministère public de la Confédération, qui n’avait pas jugé bon de s’y intéresser, le parquet genevois s’était saisi de l’affaire en fanfare, en perquisitionnant les locaux genevois de l’établissement sous l’œil des caméras. Soupçonnant des actes de blanchiment aggravé (art. 305 bis CP) imputables à la banque (art. 102 CP), les enquêteurs avaient séquestré «les dossiers de compliance d’une vingtaine de clients, a détaillé jeudi le premier procureur Yves Bertossa. Mais aussi les organigrammes, les rapports d’audit, les manuels anti-blanchiment et les boîtes mails des responsables de la compliance», pour la période 2004-2014.
Après analyse, le Ministère public a identifié «quatre dossiers problématiques» et les a notifiés à la banque lors d’une audience, le 10 avril, précise Yves Bertossa. Violation de l’obligation d’identifier les relations présentant un risque accru, incapacité à détecter les transactions inhabituelles, absence de contrôle sur le desk Medis (Méditerranée, Israël et diamants) de la banque: le parquet a constaté un déficit organisationnel en matière de lutte contre le blanchiment, et ce pendant plusieurs années. Confirmant par là les conclusions du rapport de la Finma sur la banque, publié le 24 février dernier.
Problème: nombre de faits concernaient d’anciens clients et employés et des comptes clôturés. Des difficultés sont apparues, portant notamment sur la récolte d’informations, pour démontrer des actes de blanchiment international. «C’est une chose d’identifier un compte problématique, c’en est une autre de prouver un acte de blanchiment», résume Yves Bertossa. D’où le choix «d’accepter une solution négociée, rendue possible par la banque, qui a pris des mesures internes», ajoute le procureur.
Ce dernier a pourtant détaillé trois des quatre dossiers problématiques: le premier concernait «un Mexicain bien connu de certains cartels». Comprendre: Carlos Hank Rhon, homme d’affaires suspecté – mais jamais condamné – dans l’affaire du détournement des fonds Salinas, l’ex-président du Mexique. Carlos Hank Rhon disposait de 180 millions de dollars en 2007 chez HSBC Suisse, avait révéléSwissLeaks.
Les deux autres dossiers impliquaient le desk Medis: des fonds provenant des mafias chinoises de la contrefaçon, sortis d’Espagne grâce à des mécanismes de compensation; et de l’argent blanchi, issu du trafic de cannabis marocain. Une affairequi avait valu à deux Genevois – l’ancien responsable de la société de gestion de fortune GPF et son frère, ex-employé de HSBC Private Banking – une condamnation à Genève pour blanchiment aggravé, en janvier 2013.
Selon nos informations, ce dossier a été déterminant dans l’accord annoncé jeudi. Toute la difficulté pour le Ministère public était en effet d’établir, dans les autres dossiers, l’existence d’un crime préalable – souvent à l’étranger –, condition sine qua non au blanchiment d’argent. Or, avec la condamnation des deux financiers genevois, le crime préalable était qualifié et le parquet tenait son os pour faire plier la banque. «Mieux valait verser une compensation de 40 millions que de risquer une condamnation pénale. Or cette affaire était effectivement très délicate pour la banque», confirme une source proche du dossier.
Dans un communiqué diffusé jeudi, HSBC Private Bank indique avoir «pleinement coopéré» avec le parquet. La banque reconnaît que sa «culture de compliance et ses standards de diligence n’ont pas toujours été aussi rigoureux qu’aujourd’hui». Elle ajoute avoir entamé «une transformation radicale» et pris des mesures pour éviter que ses services ne soient utilisés à des fins de blanchiment.
De son côté, Olivier Jornot – qui a relevé les «faiblesses du droit suisse en matière de lutte, à l’entrée des fonds, contre le blanchiment» – souligne que «cette affaire confirme notre volonté d’agir de façon active dans les cas de délinquance financière». Et prévient: «La solution trouvée ne concerne que la responsabilité pénale de la banque.» Ses anciens employés ne sont, eux, pas à l’abri des foudres du parquet genevois.
«C’est une chose d’identifier un compte problématique, c’en est une autre de prouver un acte de blanchiment»