Questions à
Editorial
«Les banques n’ont jamais eu une solvabilité aussi importante depuis 20 ans»
Le secteur bancaire européen va continuer de voir ses actions progresser, estime Alain Dupuis, gérant du fonds Oddo European Banks. Il met en avant la meilleure gestion des coûts et les plus importantes distributions de dividende à venir.
Le Temps: Les bourses ont largement progressé l’an dernier, les actions bancaires aussi. Le rally peut-il continuer?
Alain Dupuis: Oui, car plusieurs facteurs le soutiennent. Les valorisations n’ont pas fini de se normaliser. La perception du risque dans le secteur est encore élevée, alors qu’il n’y a plus de risque systémique. La Banque centrale européenne (BCE) est là et les politiques ont donné des gages de soutien. En outre, les banques ont fait des efforts pour renforcer leur assise financière au-delà des exigences de Bâle III. Nous n’avons jamais vu une solvabilité aussi importante depuis 20 ans. A l’issue des tests de résistance, en octobre prochain, on verra des banques bien capitalisées et la prime de risque deviendra de plus en plus faible.
– Qu’en est-il de la liquidité? Les banques dépendent des fonds mis à disposition par la BCE…
– Oui, c’est surtout vrai pour les établissements du sud de l’Europe. Mais la BCE a été très claire: il n’y aura pas de LTRO 3 [prêts illimités à trois ans à un taux d’intérêt de 1%, ndlr]. Son discours incite les banques à commencer à réduire leur dépendance à ses financements. Et cela fonctionne: des banques ont des plans de réduction massive du soutien de la BCE.
– Qu’attendez-vous des résultats financiers des banques?
– Nous allons, là aussi, voir une normalisation. Les niveaux de provisions vont diminuer à nouveau – et atteindre en moyenne 0,6% des encours de crédit, contre 0,8% environ aujourd’hui – car, avec l’amélioration de l’économie, le taux de défaillance va se réduire. Quand on sait que 0,1% de provisions en moins entraîne une hausse de 10% du bénéfice net, ce n’est pas négligeable et c’est encore sous-estimé par le marché. J’anticipe une hausse des bénéfices d’au moins 20% en moyenne dans le secteur, pas seulement en raison de la baisse des provisions mais aussi grâce à une hausse des revenus et à une réduction des coûts. Je n’ai jamais vu de période prolongée de réduction des coûts dans le secteur. Maintenant, c’est devenu la norme.
– Faut-il s’attendre à des redistributions aux actionnaires?
– Oui et c’est un point important. Les banques se trouvent dès 2014 dans une situation d’excédent de capitaux par rapport aux exigences de Bâle III. Or, tout ce surplus – qui correspondra selon nous à 15% de la capitalisation boursière du secteur à la fin de 2015 – peut être redistribué. Nous avons été déçus que la Finma demande à UBS de retarder la distribution de son dividende (via un renforcement des contraintes de solvabilité). Elle a jugé l’initiative trop risquée puisque la restructuration n’est pas finie et que le groupe fait encore face à de nombreux litiges potentiels. Il faudra donc attendre encore un peu. Tous les établissements vont s’y mettre, y compris ceux qui ne le faisaient pas, comme KBC ou Lloyds. A moins que les régulateurs ne décident d’augmenter encore les contraintes de fonds propres, les dividendes vont largement progresser ces deux prochaines années.
– Que pensez-vous de la création de l’union bancaire?
– C’est une bonne nouvelle, car cela permettra une harmonisation réglementaire et comptable et une mutualisation des risques de sauvetage. Jusqu’ici, une banque n’avait aucun avantage à faire partie de la zone euro car elle ne pouvait trouver aucune synergie et aucun intérêt à être présente dans les autres pays de la zone. Cela va changer et on peut s’attendre à des fusions à plus long terme.
– Vous avez mentionné les tests de résistance, toutes les banques en sortiront-elles indemnes?
– On verra à nouveau les «usual suspects» faire parler d’eux dans les pays périphériques de la zone euro. Mais le but de la BCE n’est pas de plonger le secteur dans l’incertitude. Et beaucoup d’établissements ont conduit des tests de résistance domestique et remis à plat la définition et la couverture des prêts douteux. Il est probable que tout le monde doive faire des efforts dans un domaine, mais je ne m’attends pas à beaucoup de cas sérieux.
– Quels titres favorisez-vous?
– Nous sommes très intéressés par DNB, en Norvège, qui est en phase de rattrapage après avoir subi le scepticisme du marché en raison de sa position de leader dans le financement du shipping, très touché par la crise. La dynamique de croissance des résultats est très importante et le contrôle des coûts est excellent. KBC est une de nos valeurs préférées, avec un changement de statut radical, de paria du secteur à star. Aujourd’hui, la rentabilité a augmenté, elle va reprendre la distribution de dividendes et bénéficie d’importants dépôts en Belgique.
* Gérant du fonds Oddo European Banks