Le transport aérien est l’un des secteurs parmi les plus durement touchés par la pandémie du Covid-19. Plus d’un million de vols ont été annulés à ce jour pour cause de fermeture de frontières et d’aéroports. Alexandre de Juniac, directeur général de l’Association internationale du transport aérien (IATA), qui compte 296 membres, fait le point ce mardi à l’occasion de la publication de nouveaux chiffres alarmants et appelle les Etats à la rescousse.

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Le Temps: Quel est l’état des lieux ce mardi 24 mars?

Alexandre de Juniac: Nous traversons une crise sans précédent. Le secteur n’a pas connu une telle brutalité en septembre 2001 dans le sillage des attentats terroristes aux Etats-Unis – des aéroports et des frontières étaient alors fermés pendant plusieurs jours. Ou encore lors de la crise financière en 2008. A présent, de nombreux pays ont bouclé leurs frontières, ce qui a donné lieu à un effondrement du trafic. Entre 5% et 25% de la flotte mondiale est en activité. Le reste des appareils est cloué au sol. La réalité économique et financière n’est guère brillante. En moyenne, le secteur a encore des liquidités pour deux à trois mois. Au-delà de juin, je crains que la moitié des compagnies aériennes ne soient susceptibles de faire faillite.

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A quel moment avez-vous dit que la situation était devenue critique?

Les annulations de vols vers l’Asie ont commencé vers le 1er février. Et c’est en mars que l’ensemble des destinations étaient concernées. Le 23 mars dernier, nous avons estimé les pertes pour 2020 à 113 milliards de dollars. Les nouveaux chiffres que nous rendons publics ce mardi montent à 252 milliards de dollars.

En termes de responsabilité, pouvez-vous assurer que des clients voyageurs ne seront pas sans solution pour revenir chez eux?

Les compagnies aériennes font tout pour assurer le retour des passagers. Elles font toutefois face aux fermetures des espaces aériens et des aéroports, ce qui rend la tâche compliquée. Il s’agit des décisions souveraines des Etats, que nous respectons. Nous essayons tout de même d’organiser les retours avec l’aide des compagnies locales. Les compagnies encouragent les passagers à essayer de trouver leurs propres solutions. C’est entendu qu’elles remboursent les frais.

Aux dernières nouvelles, 1,1 million de vols seraient annulés au 30 avril. Que représentent ces chiffres par rapport à 2019?

Ce chiffre augmente chaque jour. Encore une fois, les annulations sont liées à la fermeture des frontières. Sur une année normale, on peut compter 40 millions de vols.

L’aviation civile est un secteur économique fragile, où les marges sont faibles, même dans les bonnes années

Alexandre de Juniac

Les salariés de l’aviation civile vont-ils tous recevoir leur salaire à la fin du mois? Et fin avril?

Le secteur compte trois millions d’emplois directs et 65 millions d’emplois indirects. C’est difficile de savoir ce que feront les compagnies individuellement. La bonne nouvelle, c’est que les Etats leur prêtent une oreille attentive en cette période difficile. Certains ont déjà approuvé des plans de soutien, d’autres y travaillent. Il est intéressant de savoir que les parlements qui débattent des plans d’aide exigent la protection des collaborateurs. Les compagnies ont aussi leur propre stratégie. Elles ont pris des mesures de réduction des coûts dans le but de préserver l’emploi ou ont recours au chômage technique ou partiel. Bref, le traitement social varie de compagnie en compagnie.

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Quelques compagnies aériennes viennent de déposer leur bilan. Craignez-vous d’autres faillites, d’autant plus que nombre d’entre elles ne se trouvaient pas en très bonne santé financière avant la pandémie?

Près de 50% des compagnies se trouvent dans une zone à risque. La situation est évidemment plus critique pour les plus petites. L’aviation civile est un secteur économique fragile, où les marges sont faibles, même dans les bonnes années. Beaucoup d’entreprises sont endettées. En gros, celles d’Amérique du Nord sont plus solides. En Europe, c’est un peu moins le cas. Dans le reste du monde, elles sont plus fragiles. C’est un aspect dont l’industrie devra s’occuper après la crise; il y a clairement la nécessité d’avoir des acteurs plus solides.

Là, vous parlez du besoin de consolidation…

Oui, on va vers une consolidation du secteur. C’est une étape à franchir pour assurer son développement et pour le rendre plus robuste.

Quelles sont les réponses des Etats? En êtes-vous satisfait?

Nous sommes satisfaits de l’écoute et des premières réponses qu’ils nous ont apportées. Elles se déploient sur trois niveaux. En premier lieu, un assouplissement des réglementations. Ensuite, une baisse des charges aéroportuaires, de la redevance de survol et de certaines autres taxes. Enfin, des Etats prennent des mesures de soutien adaptées à chaque compagnie. Il s’agit notamment d’apports financiers, de participation au capital, de prêts à long terme. Il y a une palette de solutions, aussi en fonction des propriétaires de la compagnie. Dans beaucoup de cas, l’Etat est totalement ou partiellement propriétaire. Toutes les solutions pour sauver le secteur sont bonnes. Nous sommes préoccupés par la capacité des pays pauvres, notamment en Afrique, d’aider leur compagnie qui est souvent liée à l’Etat.

Pendant la crise financière de 2008, les Etats avaient mis des milliards pour sauver des banques. En 2020, va-t-on vers un sauvetage massif des compagnies aériennes par les deniers publics?

Oui, on peut dire qu’on est dans une situation semblable, même si les montants investis pour sauver les banques étaient très importants. L’aviation est un secteur clé pour l’économie et il y a urgence. La reprise dépendra aussi de la santé de notre secteur. Si on n’est pas là, elle se fera lentement. De nombreux Etats ont déjà pris acte. Les Etats-Unis, la Chine, la France, le Royaume-Uni, l’Italie, la Norvège, Singapour, l’Afrique du Sud, le Kenya prennent des mesures pour soutenir le secteur en cette période de crise.

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Il y avait un avant-coronavirus. Comment imaginez-vous l’après-coronavirus dans votre industrie?

Nous avions tiré les leçons des épidémies du SRAS et du H1N1 et les méthodes et les règles en matière sanitaire étaient en vigueur. Par exemple, les équipes de nettoyage des appareils sont bien formées. Dans l’immédiat, nous avons besoin de mesures coordonnées notamment pour l’ouverture des frontières et des aéroports. Les Etats doivent autoriser le transport des équipes médicales et du matériel pour assurer le bon fonctionnement de la chaîne d’approvisionnement de médicaments, des équipements médicaux et électroniques. A plus long terme, cette crise doit nous rappeler à quel point le transport aérien est vital pour l’économie mondiale. Dès lors, les Etats ont le devoir de renforcer financièrement notre industrie.