On dit de lui qu’il est le Bill Gates français. A tout juste 40 ans, Alexandre Mars a fait fortune dans les nouvelles technologies en vendant notamment une start-up à Publicis (Phone Valley en 2007) et une autre à BlackBerry (ScrOOn en 2013). Comme son illustre aîné, il se lance aujourd’hui dans la philanthropie. Mercredi, il était ainsi de passage à Genève pour présenter sa fondation Epic, dont il finance entièrement le fonctionnement, à de potentiels donateurs.

Mark Zuckerberg vient de s’engager à donner 99% de ses actions Facebook à sa fondation pour l’enfance…

Ce qu’il fait est extraordinaire et lui ressemble tout à fait. Pour moi, c’est aussi révélateur des aspirations de la génération internet. Des personnes qui ont gagné très vite beaucoup d’argent et qui, à 35 ou 40 ans, ont envie de faire quelque chose de bien pour la société.

C’est pour cela que vous avez décidé de lancer votre propre fondation?

Pour ma part c’est aussi une question d’éducation. Très jeune déjà je voulais avoir un impact sur la société. Puis, à l’âge de 20 ans, j’ai compris qu’il fallait que je commence par me donner les moyens de mes ambitions. Après deux décennies passées à développer, à faire grandir et à revendre mes sociétés, je me suis senti prêt à franchir le cap. D’autant que financièrement j’ai pu mettre mes proches à l’abri.

Comment un homme d’affaires issu des nouvelles technologies s’y prend-il pour se lancer dans la philanthropie?

J’ai commencé par faire une étude de marché en allant taper à la porte de nombreuses fondations, dont celle de Bill Gates. Je leur ai expliqué que je voulais me lancer dans le social et pas seulement signer un chèque. J’ai fait cela pendant trois ans. J’ai rencontré des philanthropes, des politiques, des ONG. Après avoir vendu ma dernière société je suis parti avec ma femme et mes trois enfants faire le tour du monde. Quand nous sommes rentrés à New York en février 2014, j’ai décidé de me lancer.

Qu’ont changé toutes ces rencontres?

J’ai compris une chose: si pratiquement 100% des personnes avec qui j’ai pu parler estimaient avoir agi pour le social durant l’année écoulée, la grande majorité avait l’impression de ne pas avoir fait assez. En tant qu’entrepreneur, c’est ce fossé qui m’a interpellé.

Et comment l’expliquez-vous aujourd’hui?

C’est avant tout une question de confiance puisque les donateurs ne savent pas forcément où finissent leurs dons. C’est également une question de temps. Enfin, c’est une question d’expérience. On ne leur permet pas de sentir le poids de leur don, les œuvres de charité se limitant trop souvent à un gala de fin d’année ou à une brochure annuelle avec 5 photos.

C’est là que vous intervenez?

Oui, nous sommes en quelque sorte les capitaux-risqueurs de la philanthropie. Nous passons ainsi les six premiers mois de l’année à sélectionner 20 ONG avec lesquelles nous souhaitons travailler. Cette année nous avons reçu 1400 dossiers de candidature de 85 pays différents. Ce travail de sélection représente à lui seul une grande innovation puisqu’aucune organisation ne le faisait avant nous.

Quels sont vos critères de sélection?

Il y en a 45 en tout. Le principal étant que le projet doit être lié à l’enfance ou à la jeunesse, que ce soit dans l’éducation, la santé ou encore la protection. Sinon nous couvrons six régions du monde: l’Europe de l’Ouest, les Etats-Unis, le Brésil, l’Afrique de l’Est, l’Inde et l’Asie du sud-est.

Etant donné votre parcours, on imagine que les nouvelles technologies ont une place au sein de votre fondation?

C’est là l’autre grande nouveauté de notre modèle. Grâce à notre application qui sera lancée au premier trimestre 2016, nous allons permettre aux donateurs de connaître en temps réel l’impact de leur donation. Ils pourront ainsi, par exemple, savoir combien d’enfants ont été vaccinés cette semaine en Ouganda grâce à telle organisation.

C’est l’ère de la philanthropie 2.0!

Oui, notre application permet déjà aux donateurs d’accéder aux organisations que nous finançons. Il y a des photos, des informations, des données, des cartes. Et également des vidéos. Car nous voulons que les donateurs puissent être fiers de ce qu’ils font, qu’ils puissent partager leur expérience.

Combien de fonds avez-vous récolté jusqu’à présent?

Je ne peux pas vous le dire puisque nous sommes en plein processus. Mais pour l’instant les dons vont de 10 000 à 1 million d’euros.

Y’a-t-il montant minimum pour participer?

Non, nous sommes d’ailleurs en train de mettre en place des plateformes, pays par pays, pour que les gens puissent donner 5 euros s’ils le veulent. Nous l’avons lancé la semaine dernière aux Etats-Unis.

Peuvent-ils choisir à qui ils donnent?

Oui, le principe est de s’adapter aux donateurs, et pas l’inverse. A partir d’un certain montant, les donateurs peuvent sélectionner une région, un pays ou un thème qu’ils veulent financer.

Les banques privées proposent déjà à leurs clients de les aider à donner une partie de leur fortune. N’ont-elles pas peur que vous ne marchiez sur leurs plates-bandes?

Pas du tout. Elles nous accueillent même très bien, notamment par ce que notre service est entièrement gratuit. Les banquiers privés, mais aussi les particuliers et les entreprises, savent qu’avec nous ils ont accès à des ressources talentueuses et gratuites. Notre modèle est simplement de partager le plus d’informations possible pour, qu’en retour, le plus grand nombre d’enfants dans le monde puisse bénéficier d’une aide.