Amazon cède face à l’Union européenne sur la fiscalité

Distribution Le groupe paiera ses impôts sur les sociétés dans les pays où il est implanté et non plus au Luxembourg

L’offensive européenne contre les pratiques d’optimisation fiscale des géants du Web porterait-elle ses premiers fruits? Il semblerait au vu de la décision d’Amazon. Le groupe américain de distribution en ligne a annoncé mardi 26 mai qu’il avait commencé à déclarer ses revenus au Royaume-Uni, en Allemagne, en Espagne et en Italie, et qu’il allait le faire en France. Pays où le groupe ajoute travailler à l’ouverture d’une filiale. «Depuis le 1er mai», le groupe comptabilise ses ventes à partir de branches nationales dans quatre pays européens, et non plus à partir du Luxembourg, où il avait domicilié son siège européen.

Cette décision signifie que dorénavant, Amazon paiera son impôt sur les sociétés dans les pays où il est implanté. Il met ainsi fin à une pratique d’optimisation fiscale qui lui permettait in fine de réduire sa facture fiscale. Le groupe américain est dans la tourmente depuis plusieurs mois voire des années. Mais la pression s’est accentuée cet automne à la suite des révélations du consortium de journalisme d’investi­gation américain International Consortium of Investigative Journalists et de 40 médias étrangers dont Le Monde sur les dessous du système fiscal luxembourgeois.

Cette enquête avait montré comment de grands groupes comme Amazon avaient négocié et signé avec le Grand-Duché des accords fiscaux très avantageux, les fameux «tax rulings», leur permettant d’exploiter les failles des réglementations fiscales nationales. Ce mécanisme permet à une entreprise de demander à l’avance au Luxembourg comment sa situation fiscale sera ­traitée, et était utilisé par les multinationales pour faire de l’optimisation en répartissant profits et coûts entre leurs filiales dans différents pays. C’est ainsi qu’en 2013, l’agence Reuters avait révélé qu’en 2012, en faisant transiter ses ventes depuis sa filiale luxembourgeoise, Amazon n’avait payé en Allemagne, pourtant son premier marché à l’international, que 3 millions d’euros (3,1 millions de francs) d’impôts sur les sociétés, alors même que son chiffre d’affaires dans ce pays avoisinait les 9 milliards d’euros.

En France, Amazon a reconnu, en avril 2013, être visé par un redressement fiscal pour un montant de 250 millions de dollars (237 millions de francs). Le motif de l’accusation était double: Amazon aurait utilisé des techniques d’optimisation fiscale entre 2006 et 2010, notamment par le jeu des transferts de filiales en Europe. En outre, le site de Jeff Bezos aurait déclaré un niveau de revenus inférieur à la réalité, lui permettant de diminuer son imposition durant cette période. Au Royaume-Uni, le groupe a également été au cœur d’une polémique en 2013 au moment où il avait été révélé que le montant de son imposition n’avait été que de 2,8 millions d’euros en 2012.

Aides d’Etat infondées

L’accumulation de ces révélations avait conduit en juin 2014 la Commission européenne à ouvrir une enquête approfondie contre Amazon. Bruxelles considère en effet que le groupe a bénéficié d’aides d’Etat infondées, par le biais de ces accords fiscaux. A l’époque, le commissaire européen à la Concurrence, Joaquin Almunia, avait déclaré que «Les autorités nationales ne doivent pas permettre à des entreprises particulières de réduire artificiellement leurs bénéfices imposables en ayant recours à des méthodes de calcul favorables. Il est juste que les filiales de multinationales paient leur part d’impôts et ne bénéficient pas d’un traitement préférentiel qui équivaudrait à des subventions déguisées.»

Officiellement, Amazon ne fait pas de lien entre son revirement de stratégie fiscale et la pression poli­tique exercée par les autorités ­européennes. Le communiqué du groupe se borne à indiquer: «Nous révisons régulièrement notre structure d’entreprise pour nous assurer que nous sommes en mesure de mieux servir nos clients et fournir des produits et des services supplémentaires. Il y a plus de deux ans que nous avons commencé le processus de création de succursales locales des pays d’Amazon» en Europe.

Nombreuses sociétéssous enquête

Amazon n’est pas la seule multinationale à être sous les feux des Européens. D’autres enquêtes formelles ont été lancées, pour les mêmes motifs que ceux qui visent le Luxembourg et le groupe de Jeff Bezos. Il s’agit notamment des Pays-Bas avec Starbucks, de l’Irlande avec Apple et du Luxembourg encore avec Fiat. Et la pression ne semble pas sur le point de diminuer.

En période de crise des finances publiques, les comportements d’évitement de l’impôt ne sont plus acceptés par les opinions publiques. Ainsi, les députés européens Verts et sociaux-démocrates militent, au Parlement européen, pour que des multinationales soient obligées de publier un rapport par pays, contenant les informations relatives aux recettes et aux dépenses nettes avant impôts, à l’imposition des bénéfices ou aux pertes, ainsi qu’aux subventions publiques perçues. Les entreprises de plus de 500 employés et d’un bilan annuel de 86 millions d’euros ou d’un chiffre d’affaires net de 100 millions d’euros seraient également tenues de dévoiler les informations relatives aux rescrits fiscaux. Un amendement en ce sens a été voté début mai dans une commission spécialisée du Parlement – la Commission juridique – qui pourrait être intégré dans une directive sur les droits des actionnaires, en cours de discussion.

L’adoption d’une telle disposition serait un coup de plus pour les GAFA (Google, Amazon, Facebook, Apple) après l’adoption de la directive sur la TVA appliquée sur les produits dématérialisés, films et musique achetés par le biais du service iTunes d’Apple ou Google Play. Depuis le 1er janvier, cette taxe n’est plus acquittée dans le pays de résidence fiscale de l’entreprise mais dans le pays de l’acheteur.

La Commission européenne a annoncé mardi qu’elle poursuivrait son enquête sur le traitement fiscal réservé à Amazon au Luxembourg malgré des informations selon lesquelles le géant du commerce électronique modifie ses pratiques fiscales en Europe. (ATS)