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Analyse. Migros-Denner: besoin d'impartialité

Analyse.

La Commission de la concurrence (Comco) prendra bientôt une décision capitale pour l'avenir de la distribution en Suisse, mais également lourde de sens pour la crédibilité du gendarme de la concurrence, appelé à se prononcer sur le renforcement du duopole Migros-Coop. Sans intervention de l'autorité de surveillance, il contrôlera, en deux étapes, 88,5% du marché de l'alimentation vendue en grande surface, et 38,3% de l'ensemble du commerce de détail qui représente un chiffre d'affaires annuel de 75 milliards de francs.

Ces chiffres, contestés par Migros et Coop, qui avancent des parts de marché inférieures en englobant les petits commerces, tels les boulangeries, les boucheries et les quelques épiceries indépendantes ou autres débits de boissons, sont tirés des études de l'institut IHA-GfK.

La coopérative Migros, numéro un dans l'alimentaire, pourra-t-elle avaler 70% de Denner, numéro trois, sans conditions? Les arguments en faveur ou en défaveur de la fusion fusent. Les lobbies s'activent, à quelques jours de la décision, alors que le secrétariat de la Comco, selon le Tages Anzeiger, propose un rejet de la fusion.

Mais si le secrétariat, formé de professionnels indépendants propose, c'est la commission, composée de 15 membres hétéroclites, qui dispose. Or, dans un tiers des cas, pour des raisons politiques plus que juridiques, la Comco ne suit pas les conclusions de la longue et minutieuse enquête du secrétariat.

La présence d'un tel duopole dans la grande distribution conduirait, dans la quasi-totalité des pays européens, les autorités de la concurrence à rejeter sans aucune hésitation les deux projets de fusion Migros-Denner et Coop-Carrefour. Mais la Suisse dispose d'une structure de surveillance unique, qui explique largement les pressions qui s'exercent en ce moment pour manipuler les chiffres et tenter de justifier l'injustifiable, c'est-à-dire l'acceptation sans conditions d'un poids de Migros de près de 50% dans l'alimentaire, et d'un duopole à hauteur de 88,5%.

Neutralité douteuse

Contrairement à ses homologues européens, le gendarme helvétique de la concurrence comprend des représentants de l'économie, dont la neutralité peut être mise en doute. L'OCDE, dans son rapport annuel sur la Suisse, l'a relevé à plusieurs reprises comme facteur de dysfonctionnement de la concurrence. La réforme de 2003 a certes introduit un régime de sanctions conforme au standard européen, mais les autorités politiques n'ont pas voulu toucher au double caractère de milice, et représentatif des milieux économiques, de la Comco. Les dispositions réglementaires prévoient que les membres neutres de la Comco, en l'occurrence des professeurs d'université, doivent être majoritaires. Or, pour l'examen du dossier Migros-Denner, ce n'est pas du tout le cas.

L'un des vice-présidents de la Comco, membre du conseil d'administration de Denner, devra se récuser. Mais d'autres représentent des intérêts liés de près ou de loin à ce dossier, comme l'agriculture, les grands magasins, le commerce de céréales, l'économie du chocolat, le droit des consommateurs, la recherche agronomique, voire l'industrie graphique alors que Migros et Coop sont de gros annonceurs. Ainsi, seuls cinq des quinze membres de la Comco sont entièrement indépendants de tout groupe d'intérêt économique. Deux sur quinze sont totalement neutres sur le dossier Migros-Denner. Huit, soit une majorité, sont partiellement (5) ou totalement (3) concernés. En cas d'acceptation partielle ou totale de la fusion, la question de la crédibilité de la Comco devra donc être sérieusement posée.

«Droit» au duopole?

L'un des arguments entendus en faveur de ces fusions, à savoir qu'il est déjà trop tard pour renverser la vapeur, laisse songeur. Cela veut dire que la Comco, en autorisant plusieurs fusions par le passé, a établi un «droit» au duopole. Migros-Coop contrôlent déjà plus des trois quarts du marché de l'alimentation et un tiers du commerce de détail. Dès lors, pourquoi l'empêcher de grappiller 10,3%, respectivement 5,2% supplémentaires? On croit rêver. Tout comme lorsqu'il est question de donner un poids très important à la concurrence «étrangère» future, alors que le géant européen Carrefour se retire du marché suisse, jugé bétonné par le duopole Migros-Coop. Et que penser de la faillite du fleuriste Mark & Schlageter, accélérée par la domination des deux géants orange? En janvier, Denner s'est jeté dans les bras de Migros par peur de la future agressivité des distributeurs «étrangers». Or, Manor n'a pas trouvé de partenaire «étranger» pour remplacer Carrefour. La réalité est là: bousculer Migros et Coop est devenu un pari aussi difficile que de déloger Swisscom, devenu la bête noire de la Comco, de sa position très favorable. Que fait le gendarme de la concurrence?