Les critiques pleuvent sur les grandes entreprises, ces puissantes organisations qui, selon certains, méprisent les pays en développement, dictent leurs lois, exploitent une main-d'œuvre sans défense et ignorent la protection de l'environnement. Alors comment expliquer les résultats de la dernière étude de la Banque Sarasin? L'institut est en Suisse à la pointe de la recherche en matière de développement durable et d'intégration des critères sociaux et environnementaux dans les choix d'investissement. Elle accorde la meilleure note à Adidas, Puma, Nike et Timberland dans une étude sur les industries de l'habillement, du textile et du luxe qui sera publiée demain jeudi? Les derniers rangs vont à Bulgari, Richemont et Luxottica. Etrange non? L'événement mérite une analyse.

Comment Nike, autrefois si décriée, est-elle devenue un modèle? Pour une raison bien simple: les entreprises sont extrêmement faibles par rapport aux consommateurs.

Ce ne sont pas les multinationales qui contrôlent les consommateurs, mais le contraire. C'est parce que nous sommes libres de choisir que les entreprises ont besoin de nous séduire. L'importance de leur marque souligne leur faiblesse. Il suffit d'une poignée d'activistes pour l'égratigner. Les entreprises réagissent parce qu'elles ne peuvent se permettre une mauvaise publicité. L'oreille du consommateur occidental est d'autant plus affûtée que les délocalisations sont associées à des suppressions d'emplois dans le secteur concerné: 160 000 dans la chaussure en Europe entre 1995 et 2003.

L'image est donc au cœur du débat. Makiko Ashida, l'analyste de la Banque Sarasin, estime que la marque représente entre 40 et 70% de la valeur des entreprises des secteurs étudiés: 80% pour Nike, 70% Coca-Cola, 60% Nike et McDonald's, 40% Adidas. C'est nettement supérieur à l'industrie des biens d'équipement et à la banque. C'est pourquoi en quelques années, tout a changé dans le textile, l'habillement et la chaussure. Les conditions de travail dénoncées par The Economist en 1991. La couverture du New York Times sur Nike au Vietnam, en 1997. Des ateliers qui ne respectent pas les limites légales d'heures de travail hebdomadaires. Le mal était profond. Aujourd'hui tout a changé. Nike respecte les critères de développement durables de Sarasin. Le groupe fait pour la première année partie du classement du magazine Fortune des 100 entreprises les plus attractives pour leurs employés. Un code de conduite éthique a été établi, appliqué et contrôlé par un audit sévère. Les fournisseurs y sont liés. Et en matière d'environnement, Nike est maintenant l'un des premiers acheteurs de coton bio. L'industrie du coton est au cœur de la protection de l'environnement. Elle emploie 25% de tous les pesticides utilisés en agriculture et 1 à 6% de la consommation mondiale d'eau potable.

Nike n'est pas seul à répondre aux défis sociaux et environnementaux. Les exemples sont innombrables. Onze entreprises ont démarré en 2001 un programme de réduction des heures supplémentaires en Chine avec leurs fournisseurs locaux. Le résultat est admirable. Reebok a pour sa part lancé en 2002 un projet d'élection démocratique de ses représentants de salariés en Chine, un pays qui n'admet pas les syndicats indépendants du Parti communiste. Taux de participation aux élections: 94%.

Il est donc faux de critiquer les grands groupes et leurs investissements directs qui «exploiteraient les pays pauvres». Premièrement les investissements directs concernent majoritairement les pays développés et seuls 32% vont aux pays en développement, selon Martin Wolf, dans son livre «Why Globalization Works». L'éditorialiste du Financial Times ajoute que les pays africains seraient ravis d'être ainsi exploités. Les pays les moins développés ne sont pas exploités mais ignorés des investisseurs, faute d'un climat favorable aux affaires, d'une stabilité politique et juridique.

D'ailleurs comment parler d'exploitation? Edward Graham, dans son livre («Fighting the Wrong Enemy») estime que les entreprises américaines offrent une rémunération égale à 1,8 fois la moyenne dans les pays moyennement développés et 2 fois dans les pays les moins développés. Non seulement ces entreprises paient mieux. Mais elles poussent leurs concurrentes locales à réviser les barèmes à la hausse. Où est la sous-enchère salariale dénoncée par les socialistes?

L'un des grands mérites de cette évolution, c'est l'intégration des femmes dans le circuit économique. Au Bangladesh, avant l'arrivée de l'industrie textile, les traditions locales leur interdisaient de travailler. Aujourd'hui 95% des employés sont des femmes. Avec la hausse de leurs revenus, leur demande de formation et de santé augmente. Tout le pays en profite.