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Analyse. Politique des transports, l'aveu d'échec

Analyse.

La politique des transports, en Suisse comme en Europe, est en panne. Le sentiment que le trafic routier étouffe de plus en plus les grandes agglomérations, le sous-investissement dans le développement d'axes ferroviaires modernes et l'explosion du transport des marchandises par camions sont les signes les plus visibles d'un échec. Même s'il doit être relativisé (transversales alpines, nouvelles lignes de trains à grande vitesse en Europe, ouverture timide du marché ferroviaire à la concurrence, etc.), le secteur des transports n'atteint pas les objectifs que se sont fixés tant l'Europe que la Suisse. La part du rail continuera de reculer dans les vingt prochaines années, et la congestion des villes va encore empirer.

Cette évolution à contresens, malgré une fiscalité dissuasive et une politique incitative, prend une valeur toute symbolique au terme de la consultation sur la nouvelle loi sur le transfert du trafic marchandises qui vient de s'achever. Non seulement les buts fixés dans la foulée de l'initiative sur les Alpes (acceptée en 1994) n'ont pas été atteints dans les délais, mais ils s'avèrent irréalistes. Il y a deux fois plus de camions qui franchissent les Alpes que la limite prévue (650000). On pensait y parvenir en 2004; il est probable que l'ambition helvétique soit atteinte entre 2009 et... 2017. On comprend dès lors pourquoi le Conseil fédéral se montre très prudent dans ses estimations, d'autant que les chiffres sont mauvais (voir tableau).

Comme l'écrivait récemment Christophe Reymond dans la revue du Centre patronal vaudois, «si le nombre de camions a diminué quelque peu, il n'en demeure pas moins qu'il n'y a pas un seul kilogramme qui ait été transféré de la route au rail». En réalité, on est surtout frappé par l'augmentation des quantités de marchandises transportées par la route (+40% en cinq ans) alors que la part du rail suit à peine la croissance économique.

Ce constat s'explique par la très forte augmentation de la mobilité, mais également par les retards considérables pris par nos voisins pour développer le transport des marchandises par rail. Le commissaire européen aux transports, Jacques Barrot a admis que le Livre blanc de la Commission européenne, publié en 2001, était resté sans grands effets.

Les projections de la Commission donnent pourtant toujours le vertige: le transport de marchandises devrait augmenter de 50% d'ici à 2020, et la part de la route (45%) devrait progresser. Sur les routes, cela signifie que le nombre de camions devrait plus que doubler...

C'est un cauchemar, car le réseau routier n'est pas dimensionné pour absorber une telle noria de camions, et tous les efforts pour diminuer les émissions de gaz à effet de serre en Europe risquent d'être anéantis par les transports routiers et aériens.

Pour Jacques Barrot, le rééquilibrage de la politique européenne exige des mesures courageuses et de gros investissements dans les infrastructures qui favorisent la complémentarité des modes de transport. Et surtout, une volonté politique pour briser «la peur du changement» qu'il qualifie de «barrage principal» à la politique des transports. L'usage des mots n'est pas innocent; le Français Jacques Barrot sait à quel point les barrages routiers ne sont pas qu'une menace virtuelle.

L'échec de la politique des transports, ou du moins l'absence d'un rééquilibrage en faveur du rail, tient aux gains de productivité constants réalisés par les transporteurs routiers et des taxes qui, du moins dans l'Union européenne, ne couvrent de loin pas les coûts, même directs.

En juin, l'Europe a accepté le principe de la vignette, qui s'apparente en quelque sorte à la RPLP suisse, et se déclare favorable à l'idée d'une Bourse aux transports, nouvelle proposition avancée par la Suisse pour accélérer le rythme des transferts.

Et, petite lueur d'espoir, dans les marchés ferroviaires ouverts à la concurrence, la part du rail augmente.

Les tensions politiques dans le domaine des transports ne vont pas s'apaiser, bien au contraire. Les gouvernements doivent admettre qu'ils ont été rattrapés par la dure réalité des faits, que les investissements dans l'infrastructure et la technique restent insuffisants alors même que le coût des transports va croître plus vite que la moyenne des prix en raison des coûts de l'énergie.

A Bruxelles, la Commission est sous la pression de ceux qui qualifient ses vues d'irréalistes alors même que Jacques Barrot aimerait aller plus vite vers un transfert de la route au rail. En Suisse, le résultat de la consultation est sans surprise: tout le monde est favorable aux objectifs de la loi mais personne ne veut payer en conséquence.

Comme dans le domaine de l'énergie, nous vivons toujours dans l'illusion que les prix des transports pourraient baisser...