André Schneider: «La neutralité carbone en 2050 est un défi pour l’ensemble de l’aviation, chacun doit faire sa part»
Climat
Renouvellement des flottes, développement du marché des carburants alternatifs: à l’approche de la loi sur le CO2, le secteur suisse de l’aviation présente ses solutions. André Schneider, directeur général de Genève Aéroport, estime que le secteur a les cartes en main pour atteindre cet objectif

Quelques jours avant la votation sur la révision de la loi CO2 le 13 juin, qui prévoit l’introduction d’une taxe sur les billets d’avion, le secteur de l’aviation présente sa feuille de route pour atteindre la neutralité carbone. Ce document est le fruit d’un travail regroupant compagnies aériennes, aéroports, hautes écoles ainsi que l’Office fédéral de l’aviation civile (OFAC) et de l’Office fédéral de l’environnement (OFEV) à l’initiative de l’Aviation Research Center Switzerland (ARCS).
Pour André Schneider, directeur général de Genève Aéroport, et président de ce groupe de travail, cette étude apporte la preuve que l’aviation dispose des solutions pour atteindre le zéro émission net en 2050 conformément aux objectifs de la stratégie climatique du Conseil fédéral.
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Le Temps: Cette feuille de route est-elle une réponse à la taxe sur les billets d’avion prévue par la loi CO2?
André Schneider: Nous voulions répondre aux discussions autour de l’aviation en général, pas spécifiquement à la loi CO2. Il y a eu beaucoup de débats autour de l’aviation dont la finalité a été de dire que la seule option pour décarboner le secteur est de réduire le nombre de vols. Nous voulions montrer que l’on peut maintenir notre offre en décarbonant les vols. Nous vivons dans un monde globalisé, les gens ne vont pas cesser du jour au lendemain de prendre l’avion pour rendre visite à leur famille, au Portugal par exemple, en faisant 24 heures de route.
Cette étude prévoit une augmentation du nombre de passagers à Cointrin dans les décennies à venir. Est-ce compatible avec une réduction des émissions?
Il y a trois scénarios. Dans le cas le plus haut, nous atteindrions 25 millions de passagers en 2040, mais l’hypothèse la plus vraisemblable selon nous est d’atteindre 21 millions. C’est une augmentation relativement faible sachant que nous étions déjà à 18 millions avant la pandémie. Pour Genève, l’objectif du net zéro est atteignable même avec cette augmentation. Il faut aussi souligner qu’il ne s’agit pas pour nous, avec ces scénarios de passagers, d’un objectif à atteindre mais d’une projection pour pouvoir mettre en place une planification pour nos infrastructures.
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Pour atteindre le net zéro dans l’aviation, les efforts ne concernent-ils pas plus les compagnies que les aéroports?
Les compagnies ont beaucoup à faire parce que les aéroports ont pris un peu d’avance dans ce domaine. Aujourd’hui, par exemple, les bâtiments de l’aéroport de Genève construits ces cinq dernières années produisent plus d’énergie qu’ils n’en consomment. Nous transformons aussi le trafic sur le tarmac en allant vers une motorisation électrique. Mais il faut aussi reconnaître que c’est plus facile pour nous. Cependant, ces dernières années, les compagnies ont réduit les émissions par passager transporté.
On ne peut pas dire que c’est seulement le problème des compagnies ou des aéroports. C’est un défi qui concerne l’ensemble de l’industrie et chacun doit faire sa part. Nous essayons d’aider les compagnies dans ce sens avec un programme d’incitations. Une partie des taxes qu’elles paient chez nous leur est reversée si elles renouvellent leur flotte avec des avions de dernière génération, moins gourmands en kérosène et moins bruyants.
Selon cette feuille de route, une grande partie de la réduction des émissions repose surtout sur l’utilisation de carburants alternatifs.
Tout dépend de la temporalité dans laquelle on se place puisque les objectifs courent jusqu’à 2050. Le renouvellement des flottes est aussi un point essentiel, puisque la nouvelle génération d’avions permet de réduire jusqu’à 20% les émissions de CO2 et la consommation de carburant. Mais quand on sait qu’un avion coûte entre 100 à 200 millions de francs, cela n’arrivera pas dans l’immédiat. Dans une première phase, de 2025 à 2040, les biocarburants et les mesures d’optimisation de la gestion des vols vont jouer un rôle majeur. L'année 2040, c’est l’horizon auquel on pourrait voir apparaître des avions avec de nouvelles motorisations.
Mais ces technologies devraient encore mettre des décennies à émerger.
Des constructeurs comme Airbus travaillent dessus, donc ces technologies vont finir par émerger. Nous avons un travail en amont à effectuer dans cette perspective. Imaginons que l’on ait des avions électriques qui disposent de 45 minutes entre leur arrivée et leur départ. Nous allons devoir mettre en place des infrastructures pour pouvoir les recharger dans ce laps de temps. De même pour les carburants alternatifs, il y a toute une préparation à prévoir pour leur stockage. A Genève, nous avions un projet dans ce sens qui ne s’est pas réalisé mais nous avons donc une idée de ce que cela représente. Si ces technologies sont disponibles plus vite, nous réévaluerons les objectifs.
Pour le développement des carburants alternatifs, l’étude préconise de privilégier des solutions internationales. Ces capacités ne peuvent-elles pas être développées en Suisse?
Les investissements nécessaires pour leur développement industriel ne sont possibles qu’à l’échelle de grands groupes. L’intérêt de ce rapport est aussi de montrer que la Suisse peut prendre les choses en main et qu'il faut arrêter de vouloir être un petit village gaulois et de faire les choses dans notre coin. Pour les carburants de synthèse, nous avons des groupes de recherche qui avancent sur différentes solutions, mais probablement pas les ressources pour les produire. Par exemple, pour la production de kérosène via le solaire, il faudrait des champs gigantesques de panneaux solaires. Quand je vois la difficulté d’en installer en Suisse, ce n’est pas ici qu’on va le faire.
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Une des autres solutions mises en avant consiste à travailler sur l’optimisation des vols. Peut-on encore réellement réduire les émissions de CO2 sur ce plan?
Oui, cela passe par des routes de vol plus efficaces ou des méthodes d’atterrissage et de décollage moins gourmandes. Par exemple, on peut imaginer de ne plus utiliser les réacteurs pour le déplacement avant le décollage ou après l’atterrissage en utilisant des moteurs alternatifs électriques. A Genève, ce n’est pas vraiment possible parce qu’il faut aujourd’hui quinze minutes de chauffe aux réacteurs pour le décollage. Sur l’aéroport, il n’y a aucun emplacement de stationnement depuis lequel l’avion doit ensuite rouler quinze minutes avant de décoller. Mais dans des aéroports comme Francfort, les appareils se déplacent parfois très longtemps au sol.
Les infrastructures nécessaires ne risquent-elles pas d’augmenter l’emprise au sol de l’aéroport?
Les carburants alternatifs peuvent être mixés au kérosène directement dans les citernes ou les pipelines en amont de l’arrivée à l’aéroport. Il faudra certainement des infrastructures spécifiques pour les avions électriques ou à hydrogène mais pour le moment nous n’avons pas encore d’exemple de ce que cela représente. On pourra en discuter quand on aura plus de visibilité. Mais il y a encore de l’espace sur le site actuel, où l’on pourrait les installer. Hormis les changements de technologie, le reste n’est pas insurmontable.