Cuisinier de formation et de cœur, hôtelier passé sur les bancs de l’Ecole hôtelière de Lausanne, Andreas Züllig est sur tous les fronts depuis le début de la pandémie de Covid-19. Président d’Hotelleriesuisse depuis 2015, il défend les intérêts des membres de l’association faîtière, tout en continuant à exploiter son établissement, à Lenzerheide, dans les Grisons. Il revient sur un été extraordinaire – au sens propre du terme – pour le tourisme suisse et évoque les défis à venir pour un secteur dont l’activité reste entravée par le coronavirus.

Le Temps: Est-ce que vous avez profité de l’engouement que les Grisons ont suscité?

Andreas Züllig: Tout à fait. Il y avait énormément de monde en station. Je suis à la tête de l’hôtel Schweizerhof, à Lenzerheide, depuis trente ans et nous n’avions jamais vécu un été pareil. Les mois de mai et de juin ont déjà été très bons. Le mois de juillet est le meilleur de tous les temps. Ce qui me réjouit, c’est que les Romands sont venus. Cet échange entre communautés, c’est une très bonne chose.

Avant l’été, vous craigniez une guerre des prix dans certaines régions. Est-ce que celle-ci s’est concrétisée?

Dans les régions urbaines, comme Lucerne, il y a eu des fortes réductions de prix. Dans les destinations de vacances, les prix sont légèrement montés. Aux Grisons, la hausse s’est inscrite à environ 4%.

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Que répondez-vous à ceux qui trouvent la Suisse trop chère?

Si la demande monte, les prix augmentent aussi. C’est pareil dans d’autres branches. Et d’autres pays le font aussi. Il faut aussi comprendre que les mesures de protection représentent un coût supplémentaire. Notre hôtel a 80 chambres; 12 ne sont pas exploitées. Et puis pour la restauration, nous avons moins de place, mais nous ne pouvons pas réduire le personnel en proportion. Chez nous, nous évaluons la hausse des coûts de personnel, due à ce facteur, à 10%.

Autre reproche: l’accueil ou les infrastructures qui ne seraient pas toujours à la hauteur du prix?

Il suffit de se rendre sur les plateformes comme Trip Advisor pour voir ce qu’il en est. Pour ce qui est de la qualité, de la sympathie des gens ou des infrastructures, nous nous situons au même niveau que les pays voisins.

Cela vous énerve de devoir toujours répondre à ces critiques?

Oui, parce qu’elles relèvent des préjugés. Naturellement, comme partout, il y a des gens qui ne font pas bien leur travail. C’est inévitable. Mais on ne peut pas généraliser cela à 240 000 personnes qui travaillent dans l’hôtellerie et la restauration en Suisse. Ce n’est pas juste. Cette année, beaucoup de Suisses ont voyagé pour la première fois en montagne puisque normalement deux tiers des Suisses voyagent à l’étranger. Une grande partie des gens étaient très surpris de la qualité du service; par exemple, que les gens parlent français aux Grisons.

Les mois à venir s’annoncent incertains, notamment avec la hausse des cas de Covid-19.

Traditionnellement, ce sont les familles avec enfants en bas âge et les personnes âgées qui voyagent durant cette période. Ces dernières ne voyagent pas toutes, à cause des risques. Mais nous avons montré que le concept de protection fonctionne bien. Je m’inquiète plus pour l’hiver. Là, nous avons un gros défi devant nous parce que les gens ne pourront plus être dehors et qu’ils seront à certains moments très concentrés, par exemple dans les remontées mécaniques.

Est-ce que vous avez déjà des réservations?

En fait, le niveau des réservations est aussi bon que ces dernières années pour les fêtes de fin d’année et les relâches de février. Des Suisses, mais aussi des habitués venant d’Angleterre, des Pays-Bas ou d’Allemagne.

C’est étonnant qu’ils réservent si tôt.

Si vous ne le faites pas pour ces périodes de haute fréquentation, vous ne trouvez plus de place. Il y a bien sûr une incertitude quant à leur venue, selon l’évolution de la situation. Pour nous protéger, nous avons fixé le délai d’annulation à 60 jours auparavant, contre 30 normalement. Je recommande aux hôteliers d’en faire de même. Sinon, le risque de se retrouver avec des chambres vides est trop grand.

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Pour les villes, les perspectives restent sombres. Certaines fermetures, provisoires ou définitives, ont déjà été rendues publiques. Est-ce que beaucoup d’établissements ferment discrètement?

A part l’hôtel Richemond, à Genève, et un hôtel à Zurich, je n’ai pas entendu parler de fermetures. Mais ce ne sont certainement pas les seuls et il va encore y en avoir.

Dans certaines de ces villes, par exemple Genève, il y avait déjà surcapacités avant la pandémie. Est-ce qu’on va assister à une consolidation?

On ne pourra pas éviter un mouvement de consolidation. Après, certains établissements cherchent d’autres débouchés, louer des chambres à des étudiants ou à des entreprises pour des collaborateurs. Mais il ne faut pas oublier qu’il n’y a pas que les établissements des villes qui souffrent. Certaines régions de montagne comme Interlaken ou Zermatt, habituées à une clientèle internationale, souffrent aussi. A Zermatt, je sais que certains hôtels n’ont pas ouvert cet été.

Quelles sont vos revendications pour soutenir ces hôtels?

Il y a bien sûr le recours au RHT. Pour le moment, la procédure facilitée est prévue jusqu’à la fin de l’année et le chômage partiel est possible pour 18 mois (au lieu de 12). Suivant comment les marchés internationaux évoluent, il n’est pas sûr que cela suffise l’année prochaine. Nous demandons aussi que les crédits-covid soient transformés en soutien à fonds perdus dans certains cas. Mais seulement si l’hôtel était en bonne santé avant le début de la pandémie. Si par exemple un hôtel a investi une année ou deux avant la crise, il peut vite se retrouver dans une situation difficile.

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Est-ce que d’autres pistes sont étudiées?

Nous aimerions étendre la possibilité de recourir aux services de la société suisse de crédit hôtelier aux villes. Aujourd’hui, seules les régions de montagne et une partie des régions de plaine y ont droit.

Sur le plan législatif, une motion du conseiller aux Etats Pirmin Bischof (PDC/SO) est en attente depuis quatre ans. Elle demande de supprimer la clause de parité que Booking impose aux hôteliers et qui les empêche de proposer des prix moins chers sur leur site que ceux offerts sur la plateforme. Pourquoi son traitement prend-il autant de temps?

Nous faisons pression pour qu’une solution soit trouvée comme dans les pays voisins. Mais le Seco joue la montre parce que cela pose un problème au niveau du droit des contrats. Il faut résoudre le problème sur un plan juridique. Cet été, cela a moins été un problème parce que les Suisses réservent moins par Booking. Mais cela reste énervant puisque nous payons une commission de 15 à 20%. Pour les autres chambres, nous devrions donc pouvoir proposer des prix moins élevés.

A titre privé, vous avez lancé une application, «discover.swiss», comment marche-t-elle?

Elle est opérationnelle depuis cet été. Trois projets fonctionnent déjà dans la région de Zurich, de Scuol (GR) et avec les auberges de jeunesse suisses. D’autres projets sont en préparation avec l’Oberland bernois, Lucerne, mais aussi le Valais.

Quel est votre objectif?

Créer une plateforme pour tout le tourisme suisse. C’est une tout autre solution que ce qui existe actuellement. Elle est très flexible et peut être personnalisée pour les partenaires qui travaillent avec.

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Comment traitez-vous les données recueillies?

Nous allons très loin. Les données appartiennent au client et il définit ce qu’il en fait. De notre côté, nous les utilisons de manière anonymisée pour faire de l’analyse de la demande. Mais en aucun cas de la publicité.

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