Anton Affentranger et Lombard Odier: le divorce
BANQUE
Depuis deux ans «Chief Executive Officer» de la banque privée genevoise, ce banquier de haut vol avait été chargé de restructurer l'établissement, en pleine croissance. Son départ précipité pour le groupe Roche est dû à une incompatibilité d'humeur avec le collège des associés
«Notre nouveau modèle de fonctionnement a démontré pour l'essentiel sa pertinence, mais il doit trouver encore le juste équilibre entre les différents acteurs du groupe. C'est la raison du départ d'Anton Affentranger.» Avec ses mots choisis de banquier très privé, Thierry Lombard explique pourquoi le banquier prodige qu'il est allé chercher voici deux ans pour lui confier la direction opérationnelle de sa banque, une manœuvre sans précédent sur la place genevoise, part précipitamment rejoindre les bords du Rhin, et succéder à Henri Meier aux rênes des finances du groupe Roche. Lombard, Odier & Cie, qui communique pour la première fois ses avoirs sous gestion (110 milliards de francs, soit quelque 16% de plus que les estimations sur 1999), a nommé Bernard Droux comme nouveau Chief Executive Officer et associé de la banque. Explications sur les origines d'un divorce qu'on pressentait depuis plusieurs mois.
Décembre 1997: la fusion UBS-SBS déplaît souverainement à Anton Affentranger, 40 ans alors, star montante de la banque dont il vient de restructurer de fond en comble l'activité crédit en Suisse. De surcroît, un conflit personnel avec un des membres du directoire, Stephan Haeringer, incite ce natif argentin (son père était directeur chez Nestlé en Amérique du Sud) qui a fait pratiquement toute sa carrière à l'UBS (New York, Hongkong, Genève puis au siège suisse à Zurich) à claquer la porte de la grande banque. Séduit par une offre de Thierry Lombard, il intègre la banque privée genevoise au moment où les sept associés de l'établissement se posent des questions sur la façon de gérer l'entreprise biséculaire, en forte croissance. «Nos diverses activités, en particulier à l'étranger, n'étaient pas intégrées, détaille Thierry Lombard. Le collège voulait une intégration sur une base mondiale, qui regroupe toutes les compétences de la banque.» Le 1er mars 1998, les associés divisent les responsabilités et adoptent une structure «à la société anonyme», avec Anton Affentranger comme responsable opérationnel, et le reste des associés chargés de la stratégie et des contacts avec la clientèle. La banque se lance également dans des activités de corporate finance et de private equity, à l'initiative de son nouveau CEO (qui entre en fonction officiellement le 1er janvier 1999).
L'étape la plus difficile
«Deux ans plus tard, l'évolution des résultats financiers, l'accroissement des compétences à la fois dans le domaine traditionnel de la gestion privée et dans les domaines institutionnels et de banque d'affaires, et le renforcement des bureaux à l'extérieur de Genève (en particulier Zurich) démontrent que c'était la bonne décision», affirme Anton Affentranger. «Le premier étage de la fusée a été lancé, ajoute Thierry Lombard. C'était l'étape la plus difficile et la plus dangereuse, où l'expérience et la personnalité d'Anton Affentranger ont joué un rôle clé pour arracher la banque à sa pesanteur.»
C'est pourtant bien cette personnalité qui est à l'origine du malaise, puis du divorce. «Dans la vitesse d'exécution de la mise en place de la nouvelle structure, nous avons eu des divergences», reconnaît Anton Affentranger. Thierry Lombard renchérit: «Dans le fond, il y avait identité de vue, dans la forme, nous avons développé des positions et des visions différentes. Nous avons un équilibre difficile à préserver entre la force et l'importance d'une activité traditionnelle, son urgence à l'adapter aux exigences futures, et l'importance de créer de nouvelles activités.» Le CEO démissionnaire ajoute: «Cette refonte a déclenché une énorme énergie. On a foncé, il fallait toujours plus de ressources et de compétences (la banque a passé de 850 à plus de 1200 collaborateurs depuis l'arrivée d'Anton Affentranger, ndlr). J'ai sous-estimé l'importance de ce bouleversement.» Bernard Droux, autre ex-UBS qui a rejoint la banque il y a onze ans, reprendra le flambeau. «Il s'est imposé comme le successeur naturel», constate Jean Bonna, associé. Directeur principal, membre du Group Management, ce brillant technicien et grand connaisseur des milieux bancaires internationaux entend développer notamment la banque d'affaires et les services en ligne de l'établissement de la rue de la Corraterie.