Pourquoi Apple distribue ses milliards
Technologie
La multinationale va racheter pour 100 milliards de dollars d’actions supplémentaires, après avoir déjà distribué, depuis 2012, 275 milliards à ses actionnaires. Ces gestes, salués en bourse, suscitent aussi des critiques

Un nouveau programme de rachat d’actions de 100 milliards de dollars, une augmentation de 16% du dividende, un bénéfice de 13 milliards généré lors du dernier trimestre… les résultats d’Apple, publiés dans la nuit de mardi à mercredi, ont surtout permis à la société dirigée par Tim Cook de s’adresser à ses actionnaires. Pas de nouveau produit – leur présentation intervient traditionnellement à la fin de l’été – mais une salve d’annonces intimement liées à la réforme fiscale décidée par Donald Trump fin 2017.
Entrons, pour commencer, dans les détails de ces annonces. Le rachat d’actions d’une valeur de 100 milliards interviendra ces prochains mois et succédera à un autre programme, d’une valeur de 210 milliards de dollars, qui s’achèvera durant le trimestre en cours. Selon les calculs du Financial Times, Apple détient six positions dans le top 10 des rachats d’actions par trimestre, dont les quatre premières. Le dernier record avait été établi lors du trimestre de janvier à mars 2018, avec des rachats d’une valeur de 22,8 milliards de dollars.
Entreprise la plus généreuse
Ce programme se double d’une augmentation de 16% du dividende, à 73 cents par titre, payable le 18 mai. Selon S&P Dow Jones Indices, Apple, avec 13,2 milliards de dollars ainsi distribués, devient ainsi la société la plus généreuse du monde avec ses actionnaires en chiffres absolus, passant devant ExxonMobil.
Pourquoi une telle générosité? «La réforme fiscale décidée par le président Trump est clairement la raison numéro un, estime Daniel Pellet, analyste chez Bordier, car il coûte désormais moins cher à Apple de rapatrier cet argent aux Etats-Unis [le taux d’imposition ayant baissé, ndlr]. Ce genre de plan de rachat d’actions géant a un impact direct sur le bénéfice par action: c’est extrêmement bien perçu par les analystes et les investisseurs aux Etats-Unis. L’autre raison, c’est la capacité toujours très élevée de la société à générer du cash.» Sur le dernier trimestre, Apple a ainsi écoulé 52 millions d’iPhone.
«Un business très, très profitable»
Parlons de la réforme fiscale. A la fin de l’année civile 2017, Apple possédait 285 milliards de dollars, placés pour l’essentiel à l’étranger et dont la société ne faisait rien: avant la réforme décidée par Donald Trump, si cet argent était rapatrié aux Etats-Unis, le fisc américain aurait prélevé 35% de cette somme. Désormais, ce taux est tombé à 14,5%. Plutôt que d’emprunter pour rendre de l’argent à ses actionnaires – ce qu’Apple faisait jusqu’à présent –, la société utilise donc ses réserves.
Et elle demeure rentable. «Nous avons un business très, très rentable» a martelé Luca Maestri, directeur financier d’Apple. Le bénéfice trimestriel s’est ainsi étoffé de deux milliards par rapport à la même période de l’année passée et aucun analyste ne voit cette rentabilité s’étioler.
Mais Apple n’a-t-il pas mieux à faire que de rémunérer ses actionnaires directement (via les dividendes) et indirectement (la baisse du nombre de titres en circulation augmentant leur valeur)? «Il y a une raison politique: Apple veut certainement faire un geste envers l’administration Trump, qui a accepté ses demandes, émises depuis des années, de baisser le taux d’imposition, poursuit Daniel Pellet. Il y a aussi une cause plus terre à terre: Apple ne voit pas où investir tout le cash qu’elle génère. Sa direction préfère du coup récompenser ses actionnaires.»
Imiter Facebook et Google?
Et pourtant, estime l’analyste de Bordier, la société de Tim Cook pourrait faire davantage. «Certes, Apple promet d’augmenter ses investissements dans des usines aux Etats-Unis, mais il faut être prudent avec ce type d’annonces. La société pourrait imiter Facebook ou Google en investissant massivement dans le cloud et les services, et peut-être aussi davantage dans les wearables [telles les montres connectées, ndlr]».
Les gestes annoncés par la multinationale ont eu un effet immédiat sur l’action, celle-ci progressant de 3,5% à l’ouverture de Wall Street mercredi, à 175 dollars. La plupart des analystes estiment que le titre va s’apprécier davantage ces prochaines semaines, UBS fixant par exemple un objectif de cours à 190 dollars.
Cette hausse bénéficie directement à la Banque nationale suisse (BNS), qui détenait fin 2017 des actions de la société pour une valeur de quelque 3,2 milliards de dollars, ce qui en fait le 27e actionnaire d’Apple. Si le nombre d’actions qu’elle détient n’a pas évolué, l’augmentation du dividende lui rapportera 1,9 million de dollars supplémentaires. Si l’action devait atteindre les 190 dollars prévus par UBS, la BNS, qui a déjà bénéficié de la hausse du titre depuis le 1er janvier, verrait son portefeuille d’actions gagner encore quelque 264 millions de dollars supplémentaires.
COMMENTAIRE
Un manque d’ambition
D’apparence, l’opération lancée par Apple est sûre. La multinationale a prouvé par le passé qu’elle était capable de gérer des programmes de rachat d’actions de plusieurs dizaines de milliards sans souci. Elle génère suffisamment de cash pour cela et jusqu’à présent, les investisseurs ont suivi la société – le cours du titre a quasiment quadruplé sur ces cinq dernières années. Les 100 milliards de dollars que va rendre Apple à ses actionnaires n’ont ainsi rien d’illogique.
Mais ce n’est pas très courageux. Racheter des actions peut paradoxalement envoyer un message négatif aux investisseurs: la direction n’a pas de bonne idée pour utiliser le cash, du coup elle récompense les actionnaires. Apple devient certes très forte dans les services, tels le streaming et le stockage en ligne, qui lui offrent une rente de situation si le nombre d’iPhone vendus devait baisser. Mais on attend davantage d’ambitions de la part de la société, que ce soit pour entrer sur de nouveaux marchés ou lancer des produits innovants. Apple n'en a pas besoin. Mais elle aurait les moyens de viser plus haut. A. S.