La Bahnhofstrasse perd une enseigne emblématique: la chaîne de grands magasins Manor quittera la prestigieuse artère zurichoise en janvier 2020. «Toutes les tentatives pour parvenir à un accord avec la propriétaire afin de pouvoir rester à long terme sur le site actuel ont malheureusement échoué», a indiqué le directeur général du groupe, Jérôme Gilg, devant les médias lundi.

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Un risque de «licenciements massifs» 

La chaîne suisse s’opposait depuis 2014 à la hausse de loyer voulue par Swiss Life, propriétaire du bâtiment, au moment de la prolongation du bail. L’assureur réclamait 19 millions de francs par an pour les 14 000 mètres carrés sur la principale rue commerçante zurichoise, soit trois fois plus que le précédent loyer.

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Au cours de l’été, la chaîne de grands magasins a proposé de racheter l’immeuble historique pour 535 millions, une offre rejetée par le propriétaire. «Nous en déduisons que Swiss Life ne veut pas de Manor à la Bahnhofstrasse», regrette Jérôme Gilg. L’assureur estime de son côté que la vente du bâtiment va à l’encontre de sa stratégie commerciale et juge le prix de rachat proposé par Manor trop bas. «Ce n’est pas à notre société de subventionner un groupe avec l’argent de ses assurés en renonçant à un loyer au prix du marché», tranche Swiss Life.

Les recherches d’une nouvelle adresse au centre de Zurich pourraient prendre «plusieurs années», souligne le CEO de Manor. Une partie de ses employés sera réaffectée au sein de ses 16 succursales dans la région zurichoise. Au total, 290 employés internes et 190 collaborateurs de marques locataires sont concernés. Le groupe annonce un plan social, tandis que le syndicat Unia redoute «des licenciements massifs».

Boutiques et bureaux

Swiss Life envisage d’investir 100 millions dans la rénovation du bâtiment, qui devrait, après deux ans de travaux, accueillir une dizaine de boutiques au rez-de-chaussée et au premier étage. Les niveaux supérieurs seront quant à eux consacrés à des bureaux.

Voilà trente-cinq ans que Manor a pignon sur la Bahnhofstrasse, dans un bâtiment datant de la fin du XIXe siècle, l’âge d’or des grandes surfaces. La nouvelle suscite l’émoi à Zurich où, depuis six ans, un comité de soutien au maintien de Manor sur la Bahnhofstrasse, composé de commerçants et d’élus locaux, s’active pour sensibiliser la population à «la perte de diversité au centre-ville».

«La Bahnhofstrasse ressemblera bientôt à n’importe quelle rue de n’importe quelle ville du monde, avec leurs enseignes de luxe et leurs chaînes internationales sans vie», s’alarme Esther Girsberger, présidente de ce comité, pour qui Manor représente une adresse accessible à la classe moyenne.

La nouvelle survient dans un contexte difficile pour le commerce de détail alors que Migros a annoncé en juin vouloir se séparer de quatre filiales – Globus, Interio, Gries Deco et M-Way. «Ces grandes surfaces qui faisaient de l’ombre aux petits commerçants se voient désormais à leur tour mises en difficulté par les disrupteurs de l’ère numérique. Ce n’est pas pour autant la fin des grands magasins au centre-ville. Mais souvent, les enseignes propriétaires de leurs locaux sont les mieux placées pour surmonter les difficultés», remarque Joël Jornod, auteur d’un livre publié ces jours sur l’histoire du commerce de détail, La Conquête des clients, Ed. Alphil.