«Je dois dire non. Je ne veux pas que la compagnie pétrolière vienne détruire et polluer notre forêt.» Blanca Tapuy, 43 ans, a le visage doux, mais, dans le regard, une détermination presque effrayante. Cette mère de sept enfants dit être prête à se battre à la machette pour empêcher Petroamazonas, la compagnie publique équatorienne, de réaliser prochainement une étude sismique sur le territoire de son village, Sani Isla. Au contraire de sa sœur, Inès, qui voit l’arrivée de «la petrolera», et surtout les promesses d’une vie meilleure qui l’accompagnent, d’un très bon œil.
Pour les plus aisés des 15 millions d’habitants de l’Equateur, 7e économie d’Amérique du Sud avec un PIB de 124 milliards de francs, le pétrole est avant tout synonyme d’une essence très bon marché, ainsi que d’opérations de communication du gouvernement. Celui-ci a annoncé, le 22 février, que l’Allemagne avait promis 34,5 millions d’euros sur trois ans en soutien au célèbre projet Yasuni ITT, qui consiste à ne pas exploiter les hydrocarbures se trouvant dans cette parcelle – 20% des réserves nationales – en échange de financements internationaux.
Mais à Sani Isla, à quelques kilomètres de cette parcelle, dans l’Orient amazonien à l’extraordinaire biodiversité, l’or noir plonge 400 indigènes kichwa dans une grave crise interne. Sur cette rive du fleuve Napo, des centaines de touristes viennent chaque année dormir dans les cabanes de Sani Lodge pour y découvrir cormorans, caïmans ou singes capucins. Mais cette entreprise touristique, presque unique source de revenu des villageois, connaît des ennuis financiers. C’est ce qui a poussé l’ex-maire du village à signer discrètement, en novembre dernier, un accord avec Petroamazonas. Le contrat permet à la compagnie de réaliser une étude sismique sur le territoire communal en vue d’une éventuelle extraction, en échange d’une compensation financière, accompagnée par des promesses orales d’investissements dans la santé et l’instruction publique. Petroamazonas n’a pas donné suite aux questions du Temps.
Depuis janvier, les nouvelles autorités du village font tout pour invalider le contrat. Menées par le chaman Patricio Jipa et son épouse anglaise Mari Muench, gérante de Sani Lodge, elles affirment vouloir préserver leur forêt, comme leur projet touristique. Or le lodge a été financé par la compagnie pétrolière américaine Occidental, en échange d’une première étude sismique, il y a treize ans. Les résultats étant peu concluants, l’entreprise était repartie sans rien extraire. Aujourd’hui, les leaders de Sani craignent que l’utilisation de nouvelles études ne révèle des réserves plus alléchantes.
Une campagne de soutien de l’ONG Avaaz, qui a réuni un million de signatures sur son site, a donné de la visibilité à leur combat. Mais une minorité de villageois restent séduits par l’idée d’améliorer leurs conditions de vie en acceptant l’argent du pétrole. A l’image de la communauté de Pañacocha, à quelques kilomètres de là, où Petroamazonas termine des dizaines de maisons, une école, des égouts et des chemins pavés.
Surtout, le petit groupe de Kichwa s’oppose à une politique d’Etat qui, depuis les élections du 17 février, n’est pas près de changer de cours. Pour Alexandra Almeida, spécialiste du secteur à l’ONG Accion Ecologica, la crise de Sani Isla résume la situation de nombreuses régions de son pays: «La volonté du gouvernement est d’étendre la frontière pétrolière, même à l’intérieur des blocs déjà existants.» Bien qu’étant le plus petit membre de l’OPEP, avec 500 000 barils produits par jour, l’Equateur vit à plus de 40% des revenus du pétrole, en majorité enfoui dans sa forêt tropicale.
Rafael Correa, réélu au premier tour avec 57% des voix le 17 février, en a toujours fait un cheval de bataille. Il y a trois ans, son gouvernement a augmenté les impôts sur l’activité extractive, devenus la principale manne alimentant le budget public, qui a presque triplé depuis 2006, atteignant 30 milliards de francs. Une manne finançant les programmes sociaux, tels que le bon mensuel de 50 dollars aux familles pauvres ou les projets d’infrastructures en cours, autant de politiques populaires qui expliquent le récent triomphe du président.
La dépendance au pétrole de sa «révolution citoyenne» va plus loin encore. Ayant décidé, en 2008, de ne pas rembourser un tiers (3,2 milliards de dollars) de la dette extérieure du pays, Rafael Correa a sorti l’Equateur des marchés internationaux. La Chine, friande d’or noir, est pratiquement devenue son seul créancier, avec au moins 7,2 milliards de dollars prêtés depuis 2008. En un échange proche de celui proposé à Sani Isla – des financements contre l’accès aux ressources –, des ventes anticipées ont ainsi été conclues avec le groupe PetroChina, pour un approvisionnement garanti jusqu’en 2016 au moins.
Réélu, Rafael Correa peut donc poursuivre son programme: intensifier l’extraction. Certes, sans toucher, pour l’instant, au projet Yasuni ITT. Mais cette parcelle, malgré son importance économique, ne représente que 20% de la superficie du Parc national Yasuni. Et malgré la récente promesse allemande, la probabilité d’une mise en œuvre du «plan B», consistant à commencer l’extraction du pétrole qui s’y trouve, grandit.
Surtout, des appels d’offres ont récemment été lancés pour l’exploration de 16 nouveaux blocs du sud de l’Amazonie équatorienne, représentant environ 3,2 millions d’hectares. «J’ai peur qu’on fasse la même erreur qu’avec le nord de l’Amazonie, qui est plus ou moins détruit», s’inquiète Yolanda Kakabadse, ancienne ministre de l’Environnement et présidente du WWF International. Le gouvernement estime que ces concessions pourraient contenir jusqu’à 1600 millions de barils, un quart des réserves du pays.
L’Equateur vit à plus de 40% des revenus de l’or noir, en majorité enfoui dans sa forêt tropicale